Dix mails échangés entre K. Kinzler et une collègue

Capture d’écran du premier mail – fatidique – envoyé aux groupe de travail par Klaus Kinzler le 30 novembre

30 novembre 2021 – 6 décembre 2021

Vous trouverez ici, dans l’ordre chronologique, l’intégralité des mails échangés entre Mme X., maître de conférences d’histoire, et K. Kinzler, PRAG d’allemand. Les deux collègues sont enseignants permanents à l’IEP de Grenoble, leur échange de mails a eu lieu entre le 30 novembre et le 6 décembre 2020 dans le cadre du groupe de travail « Racisme, islamophobie, antisémitisme », groupe censé préparer l’une des quatre journées de l’édition 2021 de la “Semaine pour l’égalité”, prévue pour janvier.

I. 30 novembre 2020 à 18h21

Klaus Kinzler à tous les membres du groupe de travail

Bonsoir à tout le monde,

Concernant notre groupe thématique « Racisme, islamophobie, antisémitisme », je suis assez intrigué par l’alignement révélateur de ces trois concepts dont l’un ne devrait certainement pas y figurer (on peut même discuter si ce terme a un vrai sens ou s’il n’est pas simplement l’arme de propagande d’extrémistes plus intelligents que nous). Cherchez l’intrus…

L’islamophobie (vous l’avez sans doute deviné) n’a en effet rien à voir dans cette série, du moins à mon avis personnel et de l’avis de bien d’autres personnes qui ont réfléchi à la question.

Je ne vous cache pas que c’est en vertu de ce contresens évident dans le nom de notre groupe thématique que je l’ai choisi. 

Mais tout cela se discute, bien entendu, et je me chargerais (voici ma proposition) de faire une contribution à ce propos lors de notre “semaine de l’égalité” (encore un titre où il y largement matière à débats…). Cette contribution pourrait prendre différentes formes, c’est à discuter avec vous, je suis ouvert à tout.

Ma contribution risque de ne pas plaire à tout le monde, mais le consensus, me dis-je, ne doit pas être notre objectif. Au contraire. L’intérêt d’une « semaine de l’égalité » n’est pas l’égalité des arguments et des opinions mais: le débat entre citoyens égaux.

J’ai des obligations demain soir mais j’essayerai de rejoindre notre réunion de pilotage demain soir un peu plus tard.

Klaus Kinzler

II. 1 décembre 2020 à 12h13

Mme X. à tous les membres du groupe de travail

Bonjour à toutes et tous,

La notion d’islamophobie est effectivement contestée et prise à partie dans le champ politique et partisan. Ce n’est pas le cas dans le champ scientifique. Pour prendre un exemple récent, on peut se référer à la tribune de Jean-François Bayart, directeur de recherche émérite en science politique, sur « l’islamophobie d’Etat » dans Le Monde. Bayart qui est connu, par ailleurs, pour avoir critiqué vertement l’introduction des études postcoloniales en France et l’usage politique et partisan du concept de « postcolonial » : voir son livre Les études coloniales : un carnaval académique.

L’islamophobie est ainsi un concept heuristique, utilisé dans les sciences sociales, et comme nous sommes à l’université, il me semble tout à fait légitime de l’utiliser pour désigner des préjugés et des discriminations liées à l’appartenance, réelle ou fantasmée, à la religion musulmane, associés ou non à une discrimination et des préjugés liés à l’assignation raciale (que désigne le terme générique de racisme). On parle ainsi, chez les historien.nes du Moyen-Age, d’antijudaïsme ou de judéophobie pour désigner l’hostilité envers les juifs conçus comme les membres d’une religion, tandis que l’apparition du terme d’antisémitisme à la fin du XIXème siècle traduit une inflexion vers une hostilité envers les Juifs conçus comme membres d’un peuple ou d’une “race”. Enfin, utiliser un concept ne dispense pas d’en questionner la pertinence, de se demander s’il est opérant. Ainsi, en philosophie, les philosophes matérialistes ne rejettent pas le concept de transcendance, ils discutent de la pertinence de son utilisation pour qualifier le réel.

Ceci étant dit, les suggestions que Mailys nous a faites incluent l’invitation de militant.es : il est donc tout à fait possible d’inviter un.e militant.e qui, se plaçant d’un point de vue politique, conteste l’usage du concept. As-tu une proposition précise à faire en ce sens, Klaus ?

Pour ma part, j’ai demandé un devis à la société de distribution du film de Hanna Assouline « A notre tour ! » dont vous pouvez lire un résumé et voir la bande annonce ici. Le montant habituel demandé est de 300€ HT (TVA à 10%) et la réalisatrice pourrait être présente en visioconférence.

Je voulais aussi vous signaler qu’en tant que Référente racisme et antisémitisme auprès du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche entre 2018 et 2020, je travaille depuis des mois sur une proposition originale : dans le cadre de la convention qui lie l’IEP avec le Musée de la résistance et de la déportation de l’Isère, nous souhaitons mettre en place une pièce de théâtre participative sur les thèmes du racisme et des discriminations avec la compagnie de théâtre-forum Les Fées rosses. Il s’agit de recréer la pièce « Gens d’ici et d’en face » avec des étudiant.es de l’IEP, de l’UGA (également partenaire) et des habitant.es de Grenoble (à travers La Ligue de l’enseignement, des centres sociaux et les Maisons des habitants). Sans le Covid, nous avions espéré lancer l’initiative dès septembre 2020.

La proposition du Musée et de la compagnie est de recueillir, de façon volontaire et anonyme, des témoignages de discriminations chez les étudiant.es durant le second semestre (en visio, par téléphone ou en « présentiel », selon le contexte). Les entretiens (qui seront menés aussi dans le cadre des autres partenariats) serviront de base de travail à la réécriture du texte de la pièce, qui sera ensuite montée au théâtre et/ou sous forme de pièce radiophonique, et qui pourrait être présentée lors de la prochaine Semaine de l’égalité. Mme. F.B. a suivi tout cela. Bref, tout ça pour vous dire qu’il faudrait que, lors de la table-ronde, on puisse présenter en 5 minutes cette initiative, et lancer l’appel à participation pour le recueil de témoignages. J’ai aussi demandé à la compagnie et au Musée s’ils pouvaient proposer des ateliers en petits groupes et en visio, j’attends leur réponse.

Enfin, j’ai lu vos propositions qui me semblent pertinentes (je serais notamment très intéressée d’écouter Illana Weizman) : pouvez-vous contacter les personnes pressenties pour savoir si elles seraient disponibles le 28 janvier ? Il faut faire vite, donc je vous propose de lancer les invitations et de faire un point ensemble sur les résultats de nos démarches mardi 8 (puisque la programmation finale doit être fixée le 11 décembre). Voici un sondage pour trouver un créneau : https://framadate.org/8WyXwyMpgb3dkeZC

Si la date ne convient pas, merci de m’écrire (à moi seule) avec d’autres créneaux.

Merci de votre patience au terme de ce long mail. Je ne suis pas disponible ce soir, les présent.es pourront-il.elles nous faire un compte rendu ?

Bien cordialement, en vous souhaitant une très bonne journée,

X.

III. 1 décembre 2020 à 16h19

Klaus Kinzler à tous les membres du groupe de travail

Bonjour tout le monde,

En tant que membre du groupe thématique cité en sujet de ce mail, je me permets de répondre en trois points au mail de [ma collègue X.] et aux propositions du groupe des étudiants autour de Maylis :

1) Affirmer péremptoirement, comme le fait X, que la notion d’islamophobie ne serait “pas contestée dans le champ académique” me paraît une imposture. En plus, citer un petit texte d’opinion du sociologue Bayard pour appuyer cette affirmation est plus que léger. Cette « tribune », parue dans le Monde du 31 octobre, n’a en effet strictement rien d'”académique”. Quoiqu’écrite par un vrai universitaire, il s’agit ici d’une “tribune”, ni plus ni rien, un texte comme il y en a à la pelle tous les jours dans nos quotidiens, l’opinion d’un sociologue “partisan” pur sucre (comme de nombreux sociologues dans nos universités), au ton polémique au possible (Bayard n’a pas peur de parler d’« islamophobie d’Etat » en France, ce qui ferait rire si le sujet était moins grave). Publier un tel texte dans un journal de gauche est parfaitement légitime et banal, d’autant que ce Bayard ne propose rien d’étonnant au lecteur; ce qu’il écrit est juste un brin plus choquant que ce qu’on a l’habitude de lire. Mais encore une fois, il n’y a là, dans cette expression d’une opinion personnelle, absolument rien de ce que X appelle pompeusement « le champ académique ». Ou alors soyons francs et reconnaissons tout de suite ceci: ce « champ académique » dont elle parle et dont elle est un exemple parfait, est lui-même, du moins dans certaines sciences sociales (qu’à l’INP on appelle “sciences molles”), devenu partisan et militant depuis longtemps. C’est un constat qui ne fait plus de doute. Aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France, de plus en plus aussi en Allemagne. C’est un triste fait que j’ai l’occasion d’observer jour pour jour dans ma vie d’enseignant de l’IEP.

2) J’entends que les étudiants ont déjà décidé d’inviter des « militants » dans notre événement. X, elle aussi, à la fin de son mail, m’encourage à faire une proposition précise quant à l’éventuelle invitation d’un “militant” du camp opposé. Je trouve qu’il s’agit là, dans les deux propositions, de mauvaises idées. Les innombrables “luttes” menées en France par les “partisans et militants” en général, et celle autour de la question qui nous intéresse en particulier, sont bien entendu légitimes (la France est une démocratie), mais les positions de ces « militants » n’ont pas un grand intérêt, il me semble, dans un événement universitaire comme celui que nous faisant semblant de préparer. On connaît leurs points de vue d’avance, souvent coulés dans le béton. Normal, ce sont des « militants »; le mot vient du latin « miles », ils sont les soldats de la pensée (j’ai été soldat professionnel pendant une époque de ma jeune vie, et je sais donc ce que cela implique). Inviter des “témoins”, par exemple, des victimes de réelles discriminations ou actes de racisme ou d’antisémitisme, serait une excellente idée.

3) Enfin, en préparant cet événement, n’oublions pas que nous sommes aussi étudiants et enseignants dans un institut de sciences politiques; la politique devrait donc nous intéresser. La dimension extrêmement politique du concept d’islamophobie et son actualité politique brûlante, dramatique et fort concrète DOIVENT nous intéresser.

Depuis la décapitation bestiale du professeur d’histoire Samuel Paty, la lutte du gouvernement français contre l’islamisme radical et terroriste semble s’intensifier, et en haut lieu, on s’intéresse désormais de plus près aux nombreuses organisations et associations de « lutte contre l’islamophobie » qui, jusqu’ici, malgré leur proximité souvent avérée avec les milieux salafistes, étaient fort respectées notamment dans les milieux militants de gauche, étaient souvent subventionnées par l’Etat et libres de véhiculer leur propagande extrémiste et clivante. Cela fait de nombreuses années que je les observe personnellement, régulièrement j’en parle à mes étudiants. Si la vie tranquille et respectée de ces organisations est désormais enfin remise en question, y compris par une partie de la gauche qui se réveille, c’est une bonne nouvelle. Certains de ces organismes, dont les plus importants, seront soit interdits par l’Etat, soit sont en train de s’auto-dissoudre dans l’anticipation de leur interdiction (comme c’est le cas du fameux CCIF par exemple); d’autres vont se retirer dans le noir et l’impunité de la sphère internet, d’autres encore décideront de retourner dans les dictatures pétro-arabes d’où ils viennent et qui les financent, afin de continuer la “lutte” à distance. Le changement de cap important de nos dirigeants français, soutenu largement par la population, mérite certainement qu’on s’y intéresse et qu’on en discute (que l’on l’approuve par ailleurs ou non). Même si le « champ académique » auto-proclamé n’est pas d’accord.

Pour conclure: Contrairement à ce que X affirme ex cathedra, le débat académique sur la notion hautement problématique de l’« islamophobie » n’est absolument pas clos. Ou peut-être il n’a jamais eu lieu, et pour cause. Ou, pour le dire autrement, ce débat restera forcément politique et passionnel (donc sans doute stérile et inutile). On peut même douter qu’un débat académique digne de ce nom puisse avoir lieu sur une notion fourre-tout et inventée de toute pièce comme arme idéologique dans une guerre mondiale menée par des « Fou de Dieu » (au sens littéral) contre les peuples « impies », notion qui semble avoir envahi de nombreux cerveaux, y compris dans notre vénérable institut.

J’insiste: Les débats des historiens et historiennes du Moyen-Age, que X mentionne doctement du haut de sa science pour justifier le nom de notre groupe de travail, historiens qui déjà à l’époque parlaient effectivement d’antijudaïsme ou de judéophobie pour désigner l’hostilité envers les juifs, n’ont absolument rien avoir avec le concept d’islamophobie. Les juifs de cette époque-là (comme malheureusement les juifs de toutes les époques, avant et après!) étaient massivement victimes de persécutions (y compris par les Musulmans et les Chrétiens), ils étaient ghettoïsés, tués et exterminés pour leur foi, pour leur prétendue « race ».

C’est pour cela que je refuse catégoriquement de laisser suggérer que la persécution (imaginaire) des extrémistes musulmans (et autres musulmans égarés) d’aujourd’hui ait vraiment sa place à côté de l’antisémitisme millénaire et quasi universel ou du racisme dont notre propre civilisation occidentale (tout comme la civilisation musulmane d’ailleurs) est passée championne du monde au fil des siècles …

Arrivé à ce point de ma réflexion, je dois malheureusement dire, haut et fort, que le nom même de notre groupe de travail (« Racisme, islamophobie, antisémitisme »), à y réfléchir plus de 30 secondes, est un véritable scandale, une réécriture de l’histoire qui fait honte à notre établissement. Que vous ne vous rendiez même pas compte, c’est cela qui me chagrine le plus.

C’est pourquoi j’ai décidé que, au cas où le groupe déciderait de maintenir ce nom absurde et insultant pour les victimes du racisme et de l’antisémitisme, je le quitterai immédiatement (c’est déjà presque fait, d’ailleurs).

Bien cordialement, en vous souhaitant une très bonne journée,

Klaus Kinzler

IV. 2 décembre 2020 à 13h00

Mme X. à tous les membres du groupe de travail

Bonjour à toutes et tous,

Le nom du groupe de travail « Racisme, islamophobie, antisémitisme » a été choisi après un sondage mené par F. (en copie de ce mail) auprès de toutes les personnes intéressées par l’organisation de la Semaine de l’égalité, dans le cadre de sa préparation, et validé par le comité de pilotage. Il n’est donc pas question d’en changer, bien que cela ne préjuge en rien du nom que nous donnerons à la journée du 28 janvier. Cette décision, tout comme la programmation, sera le résultat de notre travail collectif.

C’est pourquoi je vous saurais gré de bien vouloir remplir au plus vite le sondage en ligne pour trouver un créneau pour nous réunir, mardi ou mercredi de la semaine prochaine : https://framadate.org/8WyXwyMpgb3dkeZC. Pour le moment, seule L. a répondu.

Merci d’ici là d’affuter vos propositions et de contacter les personnes que vous aimeriez inviter pour vous assurer de leur disponibilité.

Bien cordialement,

X.

V. 3 décembre 2020 à 08h43

Mme X. à tous les membres du groupe de travail ainsi qu’à Vincent Tournier

Chers collègues,

J’ai bien lu vos messages. Il me semble pourtant bien que l’usage du terme « islamophobie » n’est pas problématique dans les sciences sociales aujourd’hui. L’article de J.-F. Bayart me paraissait intéressant à cet égard, car son auteur s’est illustré par sa défense de la rigueur scientifique dans les débats sur les études postcoloniales, comme je l’indiquais également. Il est vrai cependant qu’il ne s’agissait pas d’une publication scientifique.

Voici donc quelques autres références, également récentes :

– Helbling, M., & Traunmüller, R. (2020). What is Islamophobia? Disentangling Citizens’ Feelings Toward Ethnicity, Religion and Religiosity Using a Survey Experiment. British Journal of Political Science, 50(3), 811-828. doi:10.1017/S0007123418000054. https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/what-is-islamophobia-disentangling-citizens-feelings-toward-ethnicity-religion-and-religiosity-using-a-survey-experiment/FCABF1218C7D1D23AD582379F4C53007

– Hajjat A., Marwan M. (dir.), « Sociologie de l’islamophobie », Sociologie, vol. 5, n° 1, 2014, 120 p., Paris, PUF, ISBN : 978-2-13-062948-1 (numéro spécial). URL : https://journals.openedition.org/lectures/14585

– Esteves Olivier, De l’invisibilité à l’islamophobie. Les musulmans britanniques (1945-2010). Presses de Sciences Po, « Académique », 2011. ISBN : 9782724612103. URL : https://www.cairn.info/de-l-invisibilite-a-l-islamophobie–9782724612103.htm

Les revues British Journal of Political Science (publiée par les Presses universitaires de Cambridge) et Sociologie, ainsi que les Presses de Sciences Po m’apparaissent constituer des références solides, centrales et légitimes dans les disciplines relevant des SHS. Je maintiens donc mon propos.

Je m’interroge : en quoi l’usage de ce terme relèverait-il d’une « imposture » voire d’une « association au combat mené par des islamistes » ? Ensuite, par quel terme désignez-vous donc les discriminations subies par les musulman.e.s ?

Pour ma part, je proposerai aux membres du groupe thématique qui se réunira la semaine prochaine de conserver ce terme dans l’intitulé de la journée prévue dans le cadre de la Semaine pour l’égalité.

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une bonne journée,

X.

VI. 3 décembre 2020 à 17h07

Klaus Kinzler à tous les membres du groupe de travail ainsi qu’à Vincent Tournier

Bonjour tout le monde,

D’abord, je tiens à remercier Vincent Tournier pour son soutien. Ce qu’il a dit dans son mail en juste quelques mots, je le mets en exergue de ce mail:

« Charlie Hebdo était accusé d’islamophobie. Samuel Paty était accusé d’être islamophobe. La loi de 2004 est accusée d’être islamophobe. Le blasphème est islamophobe. La laïcité est islamophobe. »

J’ajoute à cela une citation du sociologue du champ académique, citée par X: “La France pratique une islamophobie d’Etat”

Je répondrai au mail de X – et à vous tous du groupe de travail (dont elle semble être le porte-parole). Et j’exposerai, une fois de plus, longuement mais en toute sincérité, et avec une proposition constructive à la fin, afin de sortir de notre conflit et d’avancer.

X, en gros, répète ce qu’elle a écrit déjà : “Il me semble pourtant bien que l’usage du terme “islamophobie” n’est pas problématique dans les sciences sociales aujourd’hui.”

Mettons que cette affirmation soit vraie (j’en doute). Ma réponse est dans ce cas que bien des choses, parmi lesquelles les plus invraisemblables, ne sont plus “problématiques” pour une partie grandissante de les “chercheurs” en sciences sociales d’aujourd’hui.

Tous les jours, les départements en « gender studies », « race studies » et autres « études postcoloniales » (liste loin d’être exhaustive!) des universités les plus prestigieuses du monde sortent leur production de nouveaux livres et articles « scientifiques » dont les conclusions sont strictement hallucinantes (pour des personnes normalement constituées).

Le problème, c’est que ceux qui s’avisent à critiquer ces élucubrations de l’esprit à la mode (qui nous vient, comme presque tout, des USA), par exemple en osant affirmer, recherches scientifiques (dures) à l’appui, que la différence entre les sexes des êtres humains n’est pas uniquement le résultat de constructions sociales mais également fortement liée à l’évolution biologique de l’espèce humaine, sont immédiatement fustigés comme « misogynes » ou / et « ennemis de la science » (de la nouvelle orthodoxie en sciences sociales, pour être précis). Un enseignant, Will Knowland, du fameux Eton College, en Grande-Bretagne, en a fait l’expérience récemment en se voir renvoyer de son job qu’il occupait depuis 9 ans pour avoir enfreint, dans son enseignement, les dogmes de la science nouvelle et de sa furie égalitaire. Toute l’Angleterre en parle, des milliers d’élèves et parents d’élèves demandent sa réinstallation, même la ministre de l’égalité des sexes (de couleur noire) intervient en sa faveur et fustige les excès de ce qu’on appelle « Woke » ou « Cancel Culture » qui veut ceci: Tous ceux des scientifiques qui ne sont pas d’accord avec la nouvelle « doxa », doivent disparaître.

Pour illustrer la façon dont se présente le vénérable « champ académique des sciences sociales » et la “qualité” des travaux qui y sont trop souvent produits sous le manteau de la science, je rappellerai à votre mémoire un exemple plus ancien, qui me revient brutalement à l’esprit quand j’observe ce qui se passe aujourd’hui dans nos universités : jadis (je l’ai vu de mes yeux ébahis encore au début des années 90, à la fac de Grenoble), les sciences sociales et les lettres françaises étaient les bastions imprenables des staliniens les plus farouches, et les travaux de ces « chercheurs », pour simplifier, payés par l’Etat, passaient leurs journées de recherches à prouver, par A plus B, fort ” »scientifiquement » bien entendu, la supériorité du système soviétique sur le système capitaliste occidental.

Tout cela pour dire que nos sciences sociales, du moins une partie d’elles, continuent de produire, en toute liberté (la liberté de la recherche est sacrée…) un tas de choses invraisemblables, défiant le bon sens, dégoulinantes d’idéologie et de bons sentiments. Le problème, au fond, c’est qu’en sciences sociales, du moins de nos jours (le bon vieux Max Weber se retournerait dans sa tombe s’il voyait!), vous pouvez « prouver » tout et son contraire, et si vous êtes à la mode, les résultats de vos recherches seront bus avidement par un public enchanté, puis enragé. Ce qui explique que, soit dit en passant, quoique littéraire moi-même de formation, je préfère de loin les sciences dures (voir en PJ un article du Monde à ce propos, paru hier). 

Mais je m’arrête ici mon intro sur le « champ académique » pour essayer d’être constructif et de nous faire avancer:

L’un mes collègues avec qui j’ai eu un bref échange de mails sur notre sujet, m’a fait la réflexion suivante, que je cite ici:

« Or il se trouve que j’ai lu aujourd’hui le document officiel de justification de dissolution du CCIF, qui a circulé sur les réseaux sociaux. Si tu le lis, tu verras que, pour le gouvernement lui-même, il semble y avoir la “bonne islamophobie” (la réaction légitime face à une vraie discrimination en raison de la religion) et la “‘mauvaise islamophobie” (le paravent du terrorisme islamique), puisque le gouvernement y cite un autre organisme lié au CFCM qui enregistre les actes d’… islamophobie (“Observatoire de l’islamophobie”). En fait, nous sommes pris au piège de ce terme. On ne peut pas nier à la fois qu’en France des gens peuvent souffrir de discriminations liés à leur appartenance réelle ou supposée à l’Islam (le plus souvent de la part de particuliers) et qu’en même temps, certains se cachent derrière ce mot pour faire avancer leur cause d’un Islam politique pour le coup « anti-tout » (plutôt qu’anti-républicain). Il faudrait pouvoir distinguer les deux avec deux mots distincts, et ne pas être obligé d’user de périphrases inexactes, par exemple, « racisme à l’égard des musulmans » (qui ne sont pas une race bien sûr). »

Il présente donc le problème qui nous occupe autrement, lucidement, sans polémique aucune. Ce qu’il dit, c’est que: En adoptant la notion d’islamophobie, nous nous sommes fait piéger!

Je vous pose une question: qu’on fait quand on est pris au piège tout en étant en possession de ses facultés intellectuelles? On tente d’en sortir, il me semble, et on ne décide pas, au contraire de s’y installer douillettement, comme certains semblent le préférer!

Problématisons donc, ensemble, lors de notre Semaine et avant, en la préparant, ce terme extrêmement problématique et chargé (d’explosif, j’ose dire, et de coups de fusil et de coup de machette…), et essayons de trouver une sortie de ce piège que des extrémistes malins nous ont tendu pour justifier leurs actes odieux, pour transformer la population musulmane entière en victimes, et pour favoriser le séparatisme d’avec la population non musulmane, avec les conséquences néfastes que nous observons tous les jours.

Je vais être clair: je refuse absolument d’accepter qu’on puisse continuer, comme X le propose au groupe, de conserver l’intitulé de la journée prévue sous le label: « Racisme, islamophobie, antisémitisme ».

Même si l’on peut admettre, comme mon collègue le suggère, que le « bon » emploi de la notion d’islamophobie existe, il me semble inacceptable, sans précautions extrêmes et avec un gros point d’interrogation, de la mettre, dans le libellé d’une journée de l’égalité, sur le même plan que les notions largement plus précises et anciennes que sont le racisme et l’antisémitisme. Quiconque ayant un minimum de bagages historiques ne peut que se rebeller contre une telle mise sur le même plan, car elle suggère une similitude ou une parenté des réalités historiques et actuelles décrites derrière ces notions, ce qui n’est pas le cas!

– Les musulmans, ont-ils été des esclaves et vendus comme tels pendant des siècles, comme l’ont été les Noirs (qui aujourd’hui encore sont nombreux à souffrir d’un racisme réel)? Non, historiquement, les musulmans ont été longtemps de grands esclavagistes eux-mêmes! Et il y a parmi eux, encore aujourd’hui, au moins autant de racisme contre les Noirs que parmi les Blancs.

– Les musulmans ont-ils été persécutés, ghettoïses, tués, exterminés pendant des siècles, comme l’ont été les juifs? Non. De nos jours encore, on compte parmi eux, dans toutes les régions du monde musulman, un très grand nombre d’antisémites virulents.

Certes, le terme « islamophobie » existe (depuis 1997, pour être exact), et il est tout à fait intéressant et enrichissant de réfléchir à son propos, mais il est évident qu’il reste une notion hautement problématique, au service hélas d’éléments présentant un danger mortel pour notre société (263 morts depuis 2015). Le jeune assassin de Samuel Paty a de toute évidence agi (peut-être sincèrement!) en victime (imaginaire) d’islamophobie. D’autres lui avaient inoculé cette poison dans le cerveau.

Arrivé ici, avant de conclure enfin, je cite une dernière fois X qui, en fin de mail, me pose une excellente question que je me pose aussi :

« Par quel terme désignez-vous donc les discriminations subies par les musulman.e.s ? »

Ma réponse est celle-ci : l’immense majorité des cas de discrimination des musulmans aujourd’hui (et ces cas de discrimination existent, évidemment!), n’a que peu ou pas de rapport avec la religion mais relève du racisme pur et simple: les gens en France s’en foutent éperdument de savoir si quelqu’un est musulman ou non, autant qu’ils s’en foutent si je suis chrétien, athée ou bouddhiste. Les racistes n’aiment pas les gens (ou ont peur des gens) qui sont différents d’eux. Si en plus, ces gens-là pratiquent un islam de plus en plus visible, et si en plus vous avez un enchaînement de violences islamistes qui secouent le pays, ce racisme a toutes les chances de s’aggraver. Et accessoirement, l’islam, dont le raciste se foutait peut-être avant, peut paraître une menace supplémentaire. Oui, je le dis: des racistes, il y en a, beaucoup. Mais ils n’aiment pas « les Arabes ». Quant à l’islam, il est vrai qu’il n’a pas bien réussi sa campagne de charme ces dernières années.

Pour illustrer mon propos, je vous ferai cette confidence sans ambages: 

Je n’ai personnellement aucune sympathie pour l’islam en tant que religion (le rôle qui y est assigné à la femme est l’une de mes raisons, importante – je préfère largement le Christ qui, lui, pardonne fameusement à la femme adultère (lisez le passage, c’est beau!); une autre raison, évidente, ce sont les crimes barbares qui sont sans cesse commis au nom de l’islam – et si vous me dites que les terroristes se trompent et que ce n’est pas l’islam, alors pourquoi n’y a-t-il pas des millions de musulmans dans la rue pour le crier haut et fort, immédiatement, après chaque attentat, pourquoi?

Donc, je le confesse, je n’aime pas beaucoup cette religion, parfois elle me fait franchement peur, comme elle fait peur à beaucoup de Français (sommes-nous donc tous de vilains islamophobes ?), mais je n’ai jamais jamais jamais ressenti de ma vie la moindre antipathie ou le moindre préjugé envers les hommes et les femmes qui pratiquent cette religion (j’en connais de nombreux), ni pour toute personne d’ailleurs dont les origines se trouveraient dans une des régions du monde où l’islam est majoritaire (et dont la couleur de la peau se distingue donc légèrement de la mienne. La mère de mon fils, Tunisienne, est née musulmane. Le fruit de l’amour d’une musulmane et d’un non musulman est aujourd’hui ce que j’ai de plus précieux au monde.

Ce que je veux dire, c’est qu’il est urgent d’établir une distinction nette, d’une part entre ne pas aimer une certaine religion, avoir peur d’une religion, voire éventuellement dire du mal d’elle, et, d’autre part, commettre des actes racistes tombant sous le coup de la loi ou pratiquer de la discrimination envers ceux qui la pratiquent. Dire ce que je viens de dire dans un pays laïque comme la France me semble une évidence.

Bref, et voilà ma conclusion: Une journée consacrée au thème « Racisme, islamophobie, antisémitisme » reste une très mauvaise idée, –  qui ferait honte à notre établissement et à tous ceux qui l’auront organisée (dont moi). En plus, elle serait une insulte aux victimes réelles (et non imaginaires) du racisme et de l’antisémitisme, qui sont des plaies que nous devons activement combattre, au nom de la dignité de l’être humain et de l’égalité des citoyens devant la loi. D’où d’ailleurs l’intérêt d’une « Semaine de l’égalité »…

Je propose donc, comme base de discussion, une journée libellée ainsi:

« Racisme, Antisémitisme et autres formes de discriminations contemporaines (islamophobie, homophobie, misogynie etc, à vous de remplir la liste…) ».

Si le groupe d’organisation, démocratiquement, décidait de conserver le libellé actuel, je resterais certes membre du comité, mais j’alerterais la direction et d’autres collègues pour qu’on réfléchisse par deux fois avant de subventionner un événement aussi oublieux de l’Histoire et de l’Actualité réelle.

Cordialement,

Klaus Kinzler

VII. 4 décembre 2020 à 07h39

Klaus Kinzler à F., Chargée de Mission « Vie étudiante, » et à Mme X.

Bonjour F., bonjour [X.],

Dans les grandes lignes, je suis d’accord avec F., qui joue très bien son rôle de médiatrice. (…)

– tu dis, F., que « les étudiants se sentent agressés à la lecture des échanges de mails »? Cela ne m’étonne pas. Ils ne supportent donc pas l’existence de débats vifs à l’université, voire des conflits. Pourtant, l’échange, même vif et engagé d’arguments est fondamental dans la formation d’un étudiant et mieux qu’un faux consensus mou. En l’occurrence, il est fort salutaire qu’ils apprennent qu’un concept comme « islamophobie » est problématique et qu’il puisse être analysés de différentes façons, – qu’il ne coule donc pas de source, comme on veut leur faire accroire

– parfois un échange, même à l’université, DOIT être vif; c’est le cas quand des différends sur les questions fondamentales sont touchées

– la préparation de la Semaine de l’égalité (mauvais titre, je suis désolé) doit continuer et être constructive, tu as raison, F.. Mais en gardant un libellé fort problématique pour une journée entière de cet événement, cela est difficile; il serait sans doute utile d’avoir le titre avant la fin de la préparation. Mais, si cela peut aider, j’accepte ta proposition d’avancer d’abord dans la programmation avant une décision finale sur le libellé

– j’apprécie ta proposition, F., de table ronde et la formulation que tu proposes, à affiner, de son sujet. Elle montre par ailleurs que le débat n’a pas été stérile. Il débouche sur une proposition, éventuellement sur une solution très éloignée de ce qu’il y avait sur la table au départ. J’aimerais bien figurer comme discutant dans cette table ronde

– que tu fasses le lien avec les étudiants, F., est une très bonne idée.

Bonne journée à toutes les deux,

Klaus

VIII. 4 décembre 2020 à 21h10

Première lettre d’excuses de Klaus Kinzler à Mme X.

Bonsoir X.,

Le débat que nous avons mené ces derniers jours a été dur, certains diraient trop dur, les étudiants de notre groupe de travail se disent « mal à l’aise » ou « agressés ». Ce constat n’est pas satisfaisant.

Je viens de relire notre échange. De ton côté, un ton parfaitement modéré et poli; de mon côté, je l’admets, je n’ai pas eu la même maîtrise du langage et, dans le feu de l’action, je me suis par moments laissé emporter. Je le regrette.

Si tu as l’impression que j’ai franchi les limites de la politesse ou du respect, je te demande pardon. Cela n’a jamais été mon intention. Je ne t’ai attaquée ni en tant que personne, ni en tant que chercheuse. J’ai attaqué, durement il est vrai, tes arguments, et j’ai attaqué, durement aussi, une certaine dérive dans les sciences sociales qui m’inquiète et qui inquiète (et parfois amuse) beaucoup de monde.

A ma décharge, je tenterai une très brève explication psychologique du ton inapproprié que j’ai pu employer dans mes mails:

Au début de notre échange, après mon premier mail, tu as cité, devant les étudiants, comme « référence » du « champ académique », une tribune (très peu académique) écrite par un sociologue présentant la France comme un pays pratiquant une « islamophobie d’État ». Par ce moyen rhétorique, tu as essayé d’étouffer dans l’œuf la tentative de ma part de problématiser la notion d’islamophobie, en décrétant ex cathedra qu’une telle problématisation se situait forcément au-dehors du champ académique. Le débat était donc clos avant de commencer.

Cette entrée en matière de ta part, formulée sur un ton calme et confiant, a été ressentie par moi comme de l’arrogance, –  l’arrogance de jeune enseignante-chercheuse qui, d’un revers de main, rejette les arguments du petit vieux prof d’allemand (simple agrégé, même pas de thèse…) en lui expliquant vite fait bien fait la différence entre « la science, la vraie » et le café du Commerce. C’est ce mauvais début de notre échange qui, j’ai peur, a été le catalyseur de ma réaction vive. 

C’est une explication, tu diras, pas une excuse. Je suis d’accord. C’est pourquoi, quant à la forme et le ton de mes mails, je veux te présenter ce soir, formellement, mes excuses. En plus, je m’engage à mieux surveiller ma plume (et ma langue) à l’avenir.

Sur le fond, en revanche, je maintiens tout à 100 %.

Qui de nous deux a avancé les meilleurs arguments dans un débat dont le sujet est aussi chargé et miné que celui de l’islamophobie?

Toi, X, tu convaincras facilement « la bulle » de tes collègues chercheurs « iepiens », ce qui, étant donnée le fort penchant d’une majorité d’entre eux pour l’extrême gauche de l’échiquier politique, est peu surprenant. Au-delà des murs de l’IEP en revanche, parmi les universitaires d’autres disciplines, ou parmi un public instruit plus large, les arguments sincères d’un libéral de la vieille école comme moi trouvent, qui sait, une audience plus large que les tiens.

En conclusion, je tente une hypothèse pessimiste mais sans doute réaliste: Un débat serein sur la notion d’islamophobie n’est pas possible dans l’IEP de Grenoble actuellement. Notre « mission » était donc « impossible » dès le départ.

Respectueusement,

Klaus Kinzler

IX. 6 décembre 2020 à 17h15

Klaus Kinzler à tous les membres du groupe de travail

Bonjour, cher groupe de travail, bonjour X.,

1) J’ai présenté vendredi mes excuses à [ma collègue X.] pour la forme et le ton trop vif que j’ai employés dans notre débat de la semaine passée. Sur le fond, en revanche, je lui ai écrit que je maintenais ma position à 100 %. Si vous voulez lire mon mail d’excuses, avec quelques courtes explications, je le mets en PJ. Ce n’est pas un document secret. Je tenais à ce que vous soyez au courant. Je souhaite par ailleurs continuer à faire partie du groupe de travail.

2) Après les suggestions de lecture de X, c’est à mon tour de vous suggérer, vivement, la lecture d’une interview avec un directeur de recherche du CNRS, Philippe d’Iribarne, paru dans Le Monde du 3 septembre 2019, dans lequel le journaliste du Monde l’interroge sur son dernier livre, un essai intitulé: “Islamophobie: Intoxication idéologique”, paru chez Albin Michel en avril 2019. Voici le lien:

http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/philippe-d-iribarne-on-disqualifie-toute-interrogation-des-aspects-problematiques-de-l-islam-03-09-2019-8263_118.php

La science, les sciences sociales, comme vous le verrez confirmé à travers cette lecture, peut aboutir à des résultats fort variés. C’est le débat entre scientifiques (et étudiants et du reste au sein de toute la société) qui doit avoir le dernier mot, et parfois ce débat ne finit jamais. Pensez au concept de « justice sociale ». Il reste très controversé, il n’y a pas une définition finale, une seule vérité; tout dépend de la manière dont vous menez votre recherche, certains (les mauvais chercheurs) cherchent aussi dans le seul but de prouver ce qu’ils pensaient au départ.  Le débat autour de la justice sociale est ainsi un débat interminable et fort intéressant, du moins aussi longtemps que les scientifiques prennent leur distance d’avec l’idéologie et restent ce qu’ils doivent être (et pour quoi ils sont payés): des chercheurs honnêtes employant des méthodes scientifiques (au sens de Popper, Weber et d’autres).

La nation d’islamophobie, qui nous intéresse en particulier, est présentée par Philippe d’Iribarne comme une notion hautement problématique et idéologiquement dangereuse. Je vous demande pardon, mais c’est exactement cela que j’ai essayé de défendre dès le départ, en vous déconseillant de le mettre côte à côte avec le racisme et l’antisémitisme.

Si vous, le groupe de travail, par l’intermédiaire de F., me faites savoir que vous ne voulez plus travailler avec moi parce que vous vous sentez « mal à l’aise », « blessés et “agressés », par moi, par mon ton, ou plutôt, ce que je soupçonne, par le fait que quelqu’un vous confronte, un brin brutalement, je le concède, avec des arguments que vous n’aimez pas (et avec lesquels personne ne vous a confrontés jusqu’ici), je dois vous dire en toute franchise, et sans vouloir vous « blesser » dérechef, que c’est là une réaction très peu intellectuelle de votre part, une réaction fort anti-intellectuelle même ou, si vous préférez, fort immature. Voulez-vous qu’on installe à l’IEP des « safe spaces », comme aux Etats-Unis, où vous êtes sûrs qu’on ne vous embêtera jamais avec des arguments et opinions autres que les vôtres, susceptible de heurter vos sentiments? Quand même! Voulez-vous vraiment cela?

Vous êtes jeunes et en pleine formation, et le vieux professeur que je suis vous dit ceci, en toute amitiés (parce qu’il aime ses étudiants):  il ne peut rien vous arriver de mieux que de comprendre que le débat académique existe en sciences sociales, qu’il n’y a pas de « pensée unique » valable, et de découvrir que les choses, même si cela vous étonne, sont toujours plus compliquées qu’on ne le pense. C’est cela qui est fascinant quand on est « apprenant ». Qu’on soit jeune ou moins jeune, en fait: durant toute la vie.

« L’homme est un apprenti… », comme le dit le poète… (La femme aussi)

Bonnes lectures et à bientôt.

Cordialement,

Klaus Kinzler

X. 16 décembre 2020 à 21h15

Deuxième lettre d’excuses de Klaus Kinzler à Mme X.

Bonsoir X,

En cinq lignes: je sais que mes mails t’ont blessée profondément. Cela n’a absolument pas été mon intention et je regrette sincèrement le ton que j’ai adopté.
Je te demande donc pardon une nouvelle fois. Et j’espère que la prochaine fois qu’on se croisera dans les couloirs de l’IEP (quand?), on pourra se dire bonjour normalement.
Que j’aie trouvé complètement disproportionné le communiqué de Pacte n’a rien à voir avec ce qui s’est passé entre nous.
J’espère que tu vas mieux à présent et qu’on pourra laisser derrière nous cette histoire le plus vite possible. Je suis d’ailleurs convaincu qu’elle ne se serait pas produite de la même façon si au lieu d’un échange de mails, il y avait une vraie réunion au sein du groupe. En quelque sorte, on peut parler de dégâts collatéraux de la pandémie…
Bonnes vacances!
Très sincèrement,
Klaus