Back to Kinzler’s Global News Blog
Le Point, 19 avril
Patrick Artus : Pourquoi la France fait à nouveau fuir les investisseurs
Après des progrès notables jusqu’en 2022, l’attractivité de la France recule fortement sous l’effet de l’incertitude politique.

Full text:
L’attractivité de la France pour les investissements, qu’ils soient français ou étrangers, est freinée principalement par deux facteurs. D’une part, le coût élevé du travail : une heure travaillée dans l’industrie, charges sociales comprises, coûte en France 48,20 dollars, contre 43,70 dollars aux États-Unis, 28 dollars en Espagne, 14,20 dollars en Pologne, 9,50 dollars en Chine et 5,80 dollars en Turquie. D’autre part, la faiblesse relative des compétences de la population active : ainsi, le score moyen de l’enquête PIAAC menée par l’OCDE sur les compétences des adultes est de 253 en France, contre 267 en Allemagne, 281 en Suède et 292 au Japon.
Une incertitude politique qui pèse lourd
Cependant, de 2017 à 2022, ces handicaps avaient été en partie compensés par des politiques en faveur de l’offre : réduction du taux d’imposition des sociétés à 25 %, diminution du poids des impôts de production, et réforme des retraites visant à augmenter le taux d’emploi (de 66 % en 2017 à 69 % attendu en 2024).
Ces politiques ont eu des résultats concrets : le taux d’investissement des entreprises a sensiblement progressé, passant de 10,4 % du PIB début 2017 à 12,2 % fin 2022. L’enquête de l’Insee sur les prévisions d’investissements restait très positive jusqu’à fin 2023. De 2016 à 2023, les ouvertures d’usines ont nettement dépassé les fermetures, avec un solde positif de 331.
Cependant, depuis 2022, et plus particulièrement depuis 2024, l’attractivité française est à nouveau fortement affectée, cette fois par l’incertitude politique. L’absence de majorité parlementaire stable depuis les élections législatives de juin 2022, aggravée après la dissolution de l’Assemblée nationale en juillet 2024, génère une incertitude marquée sur les orientations économiques du pays. En 2025, la réduction du déficit public repose en partie sur une hausse de l’imposition des bénéfices des grandes entreprises, tandis que la réforme des retraites apparaît compromise.
Le risque d’une attractivité durablement affaiblie
Les conséquences de cette incertitude sont rapidement perceptibles : le taux d’investissement des entreprises chute, passant de 12,2 % fin 2022 à 11,5 % fin 2024 ; la production manufacturière baisse de 1,9 % en 2024 ; en janvier 2025, l’enquête révèle pour la première fois depuis plusieurs années une majorité d’entreprises déclarant vouloir réduire leurs investissements ; durant l’année 2024, le nombre de fermetures d’usines excède celui des ouvertures de 15 unités, phénomène inédit depuis 2016 ; enfin, au quatrième trimestre 2024, l’emploi salarié diminue de 0,2 % et stagne sur un an, mettant fin à la progression observée depuis 2021.
Ce brutal retournement à la baisse de l’investissement, de la production, des créations d’entreprises et de l’emploi depuis 2023 est directement imputable à l’accroissement de l’incertitude politique et économique. L’abandon partiel des politiques favorables à l’offre a eu un impact négatif majeur sur une économie française déjà pénalisée par des coûts salariaux élevés et un niveau modéré de compétences professionnelles.
Le risque est clair : une faible attractivité pourrait freiner la croissance et compliquer considérablement la réduction du déficit public. Le message en termes de politique économique est donc limpide : il est impératif que les politiques fiscales, les incitations au maintien en emploi des séniors, ainsi que l’éducation et la formation professionnelle continuent à soutenir activement l’offre de biens et services.
Le Figaro, 18 avril
Trump, prix de l’essence et fiscalité en France : Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, se confie au Figaro Magazine
C’est le chef d’entreprise le plus puissant et le plus attaqué de France. Nous avons rencontré au Texas l’homme qui dirige le géant du gaz et du pétrole depuis dix ans, lors d’un congrès international sur l’industrie des hydrocarbures.
Full text:
Ils sont venus du monde entier pour le rencontrer. Égyptiens, Japonais, Kazakhs, Libyens, Saoudiens, Israéliens, Allemands… ministres, hauts fonctionnaires, banquiers, dirigeants d’entreprise… tous défilent dans la salle borgne où il s’est installé deux jours au deuxième étage du gigantesque Hilton Americas, à Houston, au Texas. Ils n’ont que vingt minutes pour développer leurs arguments. Deux petits déjeuners et trois dîners par jour complètent un agenda XXL qui s’étire de 7 heures à 22 heures. Mais ce programme épuisant ne semble pas effrayer Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies qui, inlassablement, serre des mains, écoute, questionne. Comme tous les ans, il participe à la CERAWeek, le rassemblement mondial de l’industrie du pétrole et du gaz organisé par la société Standard & Poor’s, qui se déroule au milieu du mois de mars. Le Davos de l’énergie.
Lorsqu’il a pris ses fonctions, en octobre 2014, après le décès brutal, à Moscou, de son prédécesseur Christophe de Margerie, c’est lui qui demandait audience. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On vient le voir ! Les patrons français ne sont pas nombreux à exercer une telle influence dans leur univers professionnel. Dans les allées de la manifestation, sa silhouette de géant ne passe pas inaperçue. Et sur la scène où se déroulent les conférences, c’est une rock star. Ses formules chocs déclenchent rires et applaudissements devant une salle comble. Grâce aux dix années passées à la tête du quatrième groupe pétrolier mondial, le polytechnicien de 61 ans, passé auparavant par la fonction publique et les cabinets ministériels, a visiblement pris de l’assurance.
Donald Trump, roi du pétrole
Que sa vie semble donc facile loin de la France ! Depuis que le réchauffement climatique est devenu un enjeu majeur, Patrick Pouyanné est en première ligne. Son groupe est constamment pointé du doigt. On l’accuse tantôt de s’enrichir en polluant, tantôt d’être responsable des prix élevés pratiqués à la pompe. Il est devenu l’ennemi public numéro un des activistes et des écologistes. Quand il le juge nécessaire, il défend sa maison. Mais sa parole est rare. Comment se protège-t-il des attaques ? Investit-il encore dans les énergies fossiles ? Quel sera l’impact de Donald Trump sur les prix de l’énergie ? Quel regard porte-t-il sur l’état de la France ? Avant de rentrer à Paris, le meilleur dirigeant du CAC 40, selon la nouvelle étude du cabinet de conseil VCOMV, nous a accordé un long entretien. Une confession sans tabou, qui révèle sa vraie nature, celle d’un dirigeant d’entreprise passionné, lucide, mais ferme dans ses convictions.
« Drill, baby, drill ! » (« Fore, bébé, fore ! »). Avec ce slogan répété plusieurs fois, l’imprévisible occupant de la Maison-Blanche a engagé une rupture nette avec les années Biden. « Donald Trump n’a qu’une idée en tête : faire baisser les prix du pétrole et de l’essence, analyse Patrick Pouyanné. C’est l’une de ses promesses de campagne. Il souhaite que le prix du baril tombe autour de 50 dollars (au lieu de 70 actuellement).Pour y parvenir, il veut accroître la production aux États-Unis, faire pression sur les Saoudiens pour qu’ils assouplissent les quotas de l’Opep, et peut-être même lever les sanctions qui empêchent la Russie d’exporter son pétrole et son gaz. » L’heure est donc à la dérégulation outre-Atlantique. « L’industrie Oil & Gas américaine va pouvoir à nouveau chercher du pétrole dans les terres fédérales et de nouveaux permis d’exploration vont être accordés dans le golfe d’Amérique, assure le dirigeant français. Donald Trump autorise tous les projets de gaz naturel liquéfié (GNL) que Joe Biden avait bloqués. » Message reçu cinq sur cinq chez TotalEnergies, qui a déjà investi 11 milliards de dollars aux États-Unis depuis 2022. Pendant le CERAWeek, Patrick Pouyanné a d’ailleurs signé un partenariat pour lancer un nouveau projet de forage dans l’ex-golfe du Mexique. « Dans cette affaire, Trump travaille pour les Européens », ironise-t-il, un brin provocateur. Selon lui, les prix du baril noir, et donc ceux de l’essence, devraient en effet baisser partout. Et les cours du gaz également, à partir de 2026, quand les nouvelles capacités de production américaines seront opérationnelles.
En contrepartie, la bataille contre le réchauffement climatique risque d’en pâtir. « Le réalisme devrait l’emporter un peu partout, pronostique Patrick Pouyanné. Les États-Unis étant sortis de l’accord de Paris, certains pays du Sud vont faire moins de zèle. »
Cela peut-il remettre en cause le basculement vers la voiture électrique ? « Aux États-Unis, Trump est en train de la tuer, assène Patrick Pouyanné. Sa conviction est qu’elle est réservée aux riches. Ce qui, aux prix actuels, n’est pas complètement faux ! Même si les constructeurs chinois peuvent la rendre accessible. » Pour autant, il ne croit pas à un changement de cap en Europe, encore moins en Chine. Même si, dans une démocratie, « ce qu’un parlement a décidé, un autre peut le défaire, c’est une question de volonté politique ». Détenteur à titre personnel d’un véhicule électrique, il regrette que le parc de bornes de recharge mis en place par son entreprise, « un acte de patriotisme » à ses yeux, ne tourne dans le meilleur des cas qu’à 20% de sa capacité. Susceptible de s’emparer de chaque dossier, même les plus petits, il passe un long moment à nous expliquer le casse-tête insoluble des stations-service autoroutières. « L’été, il faudrait 40 ou 50 bornes dans chaque station plutôt que 8 ou 16 pour faire face aux pics de fréquentation, constate-t-il. Mais à ce niveau-là, ce serait de la philanthropie ! Le problème, c’est que les gens qui chargent leur voiture partent déjeuner. La solution, mais ça va grogner, serait de faire payer plus cher ce stationnement au-delà de dix minutes. »
L’homme qui tutoie les chefs d’État
Rien qui ne remette en cause la diversification de TotalEnergies dans la production et la distribution d’électricité. « En 2025, l’électricité représentera déjà plus de 10 % de nos ventes d’énergie, affirme-t-il. Notre objectif, c’est d’atteindre 20 % en 2030, ce qui en fera un vrai business contributeur pour les dividendes. Il y a encore cinq années d’efforts à faire. On va les faire. Mais on ne renonce pas pour autant au pétrole et au gaz. Tant que nous continuons d’avoir des clients qui en demandent, nous continuons d’en produire. »
On comprend mieux pourquoi il consacre la plus grande partie de son temps à voler d’un pays à l’autre, sur tous les continents, pour sécuriser ses approvisionnements en énergies fossiles. Partout, il traite directement, et en tête à tête, avec les chefs de gouvernement. « Dans beaucoup de pays, notre activité représente une part importante du budget de l’État, justifie-t-il. Leurs leaders veulent savoir à qui ils confient une partie de leurs ressources naturelles et qui appeler si jamais ça va mal. » Une particularité de ce business dont il n’a pas tardé à découvrir l’importance. « Un des premiers que j’ai vus était Vladimir Poutine à Sotchi, après l’accident de Christophe de Margerie en 2014. Je me suis dit : je suis là, c’est à moi de faire le job. J’y suis allé avec le patron de la Russie. J’étais un peu impressionné. Et puis j’ai appris en marchant. » Son secret : ne pas tourner autour du pot avec des personnages pas toujours très faciles. « Je connais très bien mes dossiers, on me prend rarement en défaut, explique-t-il. Ils ont en face d’eux quelqu’un qui est direct et clair. Comme leur temps est précieux, cette façon de les aborder semble fonctionner. »
Seul face aux dirigeants du monde mais sans le soutien de la France, c’est son grand regret. Mis sous pression pour ne plus financer les énergies fossiles, tous les acteurs de la finance française ont lâché Total Energies. « On est obligé de se tourner vers les Américains, les Japonais ou les Italiens pour financer nos projets, révèle le chef d’entreprise. C’est un peu dommage. » Récemment, il a sollicité les équipes de la Maison-Blanche pour faire avancer le dossier gazier du Mozambique, dont il est l’un des principaux actionnaires. « C’est frustrant de ne pas être reconnu dans son pays, grogne-t-il. Et c’est frustrant que les 30.000 salariés qui sont fiers de travailler dans l’entreprise ne puissent plus le dire. »
Droit dans ses bottes
Car l’entreprise n’est pas seulement lâchée, elle est aussi attaquée. Celui qui prend le plus de coups, c’est lui. Il assume. « Le patron est une cible bien sûr, mais quand on accepte une telle responsabilité, on prend les avantages et les inconvénients de la fonction. Les critiques m’énervent seulement quand elles touchent les salariés ou quand elles commencent à toucher ma famille. Ce qui est arrivé une ou deux fois. Mais je constate que je suis surtout la cible d’un certain système médiatique parisien. Quand je vais en province, on m’encourage. »
Sauf, tout de même, au moment du scandale provoqué par le projet d’exploitation pétrolière en Ouganda. « Le nombre de reportages qui lui a été consacré a frappé les gens, reconnaît-il. J’ai envoyé les membres de mon conseil d’administration sur place. Ils sont revenus en me disant : “Ce que vous faites là-bas, c’est très bien.” Si on renonce, les Chinois nous remplacent le lendemain. Donc, le projet se fera. Autant qu’il soit fait par nous. »
Droit dans ses bottes, il refuse de faire profil bas. Il n’esquive donc pas les questions qui fâchent sur la France. Son jugement sur l’État du pays est sévère. Dans le duel qui a opposé Bernard Arnault, PDG de LVMH, et le distributeur Michel-Édouard Leclerc à propos de la hausse de l’impôt sur les bénéfices des grandes entreprises, il choisit son camp sans hésiter une seule seconde. « Bernard Arnault a totalement raison de critiquer cette fiscalité additionnelle qui pèse sur celui qui investit en France. Les forces vives du pays sont trop taxées. On n’est pas dans un cercle vertueux. Cela bride les entrepreneurs. » Plus généralement, il défend un discours très libéral. « Pour monter le budget de la défense à 5% du PIB, il va falloir trouver l’argent quelque part ! Si l’on considère que la liberté et la souveraineté, et donc avoir les moyens de se défendre, doivent prévaloir sur la solidarité, il faut avoir le courage de remettre à plat certains budgets sociaux. »
Comment réduire les déficits publics ? « Le problème des campagnes électorales françaises, c’est le toujours plus, assène-t-il. Quand un candidat essaye de dire qu’il faudrait faire un peu moins, la probabilité qu’il soit élu n’est pas bien grande… Quelqu’un de courageux osera-t-il dire que l’on ne peut pas continuer comme ça ? Ce n’est pas impossible, car je crois que les Français en ont marre du bazar ambiant et comprennent le problème. Ils sont conscients qu’on les berce d’illusions. » Il suit avec intérêt ce qui se passe aux États-Unis. « L’avantage du DOGE d’Elon Musk , c’est qu’il oblige à repenser tout. En partant de zéro, on a une chance de faire des économies car on décide ce que l’on veut vraiment faire. »
Un autre mal bien français le préoccupe encore plus, car les entreprises y sont confrontées chaque jour. L’excès de lois sociales et de réglementations freine les projets de développement. « Pour développer les énergies renouvelables, nous sommes confrontés à des procédures diaboliques, qui prennent trop de temps, proteste-t-il. Quand il faut trois ans pour faire une ferme solaire aux États-Unis, cela prend sept ans en France. Et pour un projet dix fois plus petit ! Le problème, c’est le millefeuille administratif du pays. » Malgré les belles intentions répétées maintes fois par les dirigeants du pays d’ouvrir un chantier de simplification, la situation ne s’arrange pas. « Au fil des années, un État profond s’est créé en France. Les fonctionnaires ne font plus confiance aux politiques. Cela s’accélère avec les gouvernements qui chutent tous les six mois. Pourquoi écouter un ministre qui ne va pas rester ? C’est un vrai problème car cela renforce le poids d’une administration qui a tendance à compliquer les choses. »
Bourreau de travail
Au moment de terminer cette conversation, une question nous taraude. Comment fait-il pour durer à un poste aussi exposé ? « Ce travail n’est pas une charge, mais un amusement ; plus que ça, une passion, tente-t-il de nous convaincre. Après, bien sûr, il faut être en bonne santé, se reposer, prendre des vacances. Les miennes sont bloquées en vert dans l’agenda et immuables. » Son truc, réserver longtemps à l’avance. Et partir très loin. Les îles Cook l’année dernière, les îles Salomon l’été prochain. Ce passionné de voyages n’est pas rassasié. Quand il décroche, il est capable d’oublier de lire le courrier professionnel en retard qu’il a emporté. En revanche, il dévore des romans policiers et des BD qu’il collectionne. Son héros préféré : Largo Winch. Un aventurier qui parcourt le monde, tiens, tiens…
Atlantico, 18 avril
Contre-vérités : La grande manipulation : cette redistribution massive du système social et fiscal français que la gauche et la technostructure feignent d’ignorer
Alors que la Cour des comptes propose un remboursement des médicaments au prorata des revenus, le président LFI de la Commission des finances propage lui des contre vérités absolues sur la fiscalité relative des riches et des pauvres.
Full text:
Atlantico : Sur le plateau de BFMTV, le président de la Commission des Finances, Eric Coquerel, avançait ce mardi 15 avril que l’impôt sur le revenu aurait augmenté pour tout le monde sauf pour “les 10 % les plus riches” en 2024. Il s’appuie sur la note de la DGFIP pour tenir un tel propos. Dans quelle mesure peut-on parler a minima d’incompétence et, au pire, de malhonnêteté ?
Jean-Philippe Delsol : Monsieur Coquerel ne semble savoir lire les notes de la Direction générale des finances publiques. En effet, dans sa note d’avril 2025 Statistiques N°32 la DGFiP observe qu’au titre de la déclaration en 2024 des revenus générés en 2023, seuls 19 millions de foyers fiscaux (45 %) se sont acquittés d’un impôt net positif. Le nombre des non-imposés est resté stable. Le revenu total net déclaré a cru sensiblement plus que l’inflation (+ 5,4 %, contre + 4,8 % pour l’indice des prix hors tabac) mais le produit total de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2023 n’a progressé que de + 1,8 %, atteignant 83 Md€, principalement du fait d’une croissance plus faible du revenu dans les tranches d’imposition supérieures—les 10 % des foyers les plus aisés. Néanmoins ces derniers contribuent à 76 % de l’impôt net.
« Le nombre de foyers appartenant à la dernière tranche du taux marginal d’imposition, observe la DGFiP a diminué de 8,6 %, amputant l’impôt au barème collecté au titre de cette tranche (- 5,3 %) […]. L’effectif de cette tranche se contracte depuis plusieurs années, avec 12,6 % de foyers de moins qu’en 2018.
En clair, cette note explique que le nombre de contribuables ayant des revenus élevés se rétrécit et que leurs revenus sont moins importants qu’il ne l’étaient. Comme ce sont ces foyers fiscaux qui sont les plus contributifs à l’impôt, le produit de l’impôt augmente moins que l’inflation !
Atlantico : Sur le plateau de BFMTV, le président de la Commission des Finances, Eric Coquerel, avançait ce mardi 15 avril que l’impôt sur le revenu aurait augmenté pour tout le monde sauf pour “les 10 % les plus riches” en 2024. Il s’appuie sur la note de la DGFIP pour tenir un tel propos. Dans quelle mesure peut-on parler a minima d’incompétence et, au pire, de malhonnêteté ?
Jean-Philippe Delsol : Monsieur Coquerel ne semble savoir lire les notes de la Direction générale des finances publiques. En effet, dans sa note d’avril 2025 Statistiques N°32 la DGFiP observe qu’au titre de la déclaration en 2024 des revenus générés en 2023, seuls 19 millions de foyers fiscaux (45 %) se sont acquittés d’un impôt net positif. Le nombre des non-imposés est resté stable. Le revenu total net déclaré a cru sensiblement plus que l’inflation (+ 5,4 %, contre + 4,8 % pour l’indice des prix hors tabac) mais le produit total de l’impôt sur le revenu au titre de l’année 2023 n’a progressé que de + 1,8 %, atteignant 83 Md€, principalement du fait d’une croissance plus faible du revenu dans les tranches d’imposition supérieures—les 10 % des foyers les plus aisés. Néanmoins ces derniers contribuent à 76 % de l’impôt net.
« Le nombre de foyers appartenant à la dernière tranche du taux marginal d’imposition, observe la DGFiP a diminué de 8,6 %, amputant l’impôt au barème collecté au titre de cette tranche (- 5,3 %) […]. L’effectif de cette tranche se contracte depuis plusieurs années, avec 12,6 % de foyers de moins qu’en 2018.
En clair, cette note explique que le nombre de contribuables ayant des revenus élevés se rétrécit et que leurs revenus sont moins importants qu’il ne l’étaient. Comme ce sont ces foyers fiscaux qui sont les plus contributifs à l’impôt, le produit de l’impôt augmente moins que l’inflation !
Bertrand Martinot : Commençons par préciser un premier point important : de toute évidence, il n’y a aucune pensée économique dans la réflexion de Monsieur Coquerel. De tels propos relèvent de la démagogie à l’état chimiquement pur. Le fond du propos consiste fondamentalement à dire qu’il faudrait massivement augmenter les impôts, tout en prétendant évidemment que l’on pourrait le faire en préservant les classes populaires et moyennes. C’est faux, évidemment. Notons également qu’Eric Coquerel dit l’exact inverse de la source sur laquelle il s’appuie, c’est-à-dire la dernière note de la DGFIP. Ne perdons pas de vue, à cet égard, qu’Eric Coquerel est président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale. Il est très inquiétant de constater le niveau économique et financier de certains de nos élus. Reste à savoir s’il s’agit d’une erreur que l’on peut attribuer à l’incompétence ou bien d’un réflexe purement démagogique ? Dans un cas comme dans l’autre, expliquer que l’on peut créer de l’argent magique à hauteur de plusieurs dizaines de milliards supplémentaires sans que personne n’en sorte pénalisé – sinon quelques familles riches qu’il suffirait de taxer plus qu’aujourd’hui,c’est une sorte de trumpisme de gauche..
Du reste, il me semble important de rappeler que la question soulevée par Eric Coquerel n’est peut-être pas, en elle-même, la plus importante : savoir précisément quelle tranche a payé telle ou telle part d’impôt sur le revenu en 2024 par rapport à 2023 est quelque peu anecdotique. Les impôts sont ce qu’ils sont. Les tranches d’impôt sur le revenu les plus élevées sont de 45 %, c’est-à-dire qu’elles sont déjà très élevées. Si l’IR rapporte moins une année c’est potentiellement le fait d’effets de seuils. Le fait, plus important, que traduit cette situation, c’est le refus obstiné d’une partie de la gauche d’admettre ce que rappellent tous les statisticiens, notamment à l’INSEE, depuis maintenant des années : le fait que la France est l’un des pays du monde où les inégalités de revenus sont les plus faibles et que cela s’explique par l’étendue de notre système de prélèvement comme de redistribution.
Le propos de fond de Monsieur Coquerel vise à souligner la nécessité de rendre l’impôt sur le revenu “à nouveau redistributif”, ainsi que d’aller “chercher l’argent où il est trop parti depuis 2017”, à savoir “les cadeaux fiscaux pour le capital”. Peut-on vraiment dire du système français qu’il n’est pas redistributif ? Ne s’agit-il pas d’un mensonge éhonté ?
Philippe d’Iribarne : L’ensemble de ce que fait LFI est manipulatoire. La distinction entre le vrai et le faux est une notion bourgeoise qui n’a pas de sens pour l’extrême gauche. Pour elle, la seule question qui compte est de savoir si ce que l’on affirme sera efficace pour faire ou non progresser la cause que l’on défend. J’ai pu le constater de mes yeux chez les apparatchiks du Parti communiste alors que je travaillais au sein de la direction de la prévision. S’il est utile de faire croire que les Français les plus riches n’ont pas vu leur impôt sur le revenu progresser en 2022 contrairement à tout le reste de la population, alors même que c’est l’exact inverse qui est affirmé par la DGFIP, peu importe que cela soit vrai ou faux.
Le ressentiment est le fond de commerce de la France Insoumise. Pour le faire flamber, la question de la redistribution est parfaite : elle permet de l’activer à l’encontre des méchants riches en ayant l’air de prendre la défense des pauvres qu’ils sont censés opprimer. On retrouve cette démarche du côté des élus EELV qui ont pour habitude de reprendre les thèses et les chiffres d’Oxfam sur ces questions sans se soucier des critiques concernant la méthodologie et le choix des données. On a là, sans doute, une source de la fracture, sans cesse prête à renaître au sein de la gauche, avec un parti socialiste qui paraît nettement plus attaché au respect du réel.
Les autres partis ne me paraissent pas avoir des positions aussi tranchées sur la redistribution. Ainsi, au Rassemblement national, une ligne qui lui est favorable coexiste avec une ligne qui défend plutôt les entrepreneurs et ces deux positions ne sont pas faciles à combiner.
Bertrand Martinot : Nous le disions justement il y a un instant : la France peut compter sur un système fiscal et social particulièrement efficace, au moins en matière de redistribution. La France est un pays relativement égalitaire, en matière de revenus, après redistribution. En d’autres termes, sans cet effort redistributif, l’Hexagone serait un pays relativement inégalitaire en la matière. Ce n’est pas le cas. Il suffit de comparer les revenus primaires et les revenus secondaires français pour réaliser que la France est l’un des pays les plus égalitaires de toutes les nations de l’OCDE. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il n’existe pas d’inégalités en France, mais bien qu’elles ne sont pas (pour l’essentiel, au moins) liées aux revenus. Elles sont liées bien davantage à l’éducation, au patrimoine aussi, mais pas aux revenus. Or, c’est bien de l’impôt sur le revenu dont il est ici question.
Si l’objectif de notre système, c’est de redistribuer le plus possible, on peut dire qu’il est rempli.
L’impôt – et tout particulièrement l’IR, d’ailleurs – joue un rôle essentiel en matière de redistribution. Il est très fortement progressif, au point qu’il exclut 55 % des ménages. Pour autant, c’est loin d’être le seul élément de progressivité dans notre système : on pourrait, par exemple, parler des cotisations d’assurance maladie qui sont déplafonnées. Pour autant, quand on est malade, on ne bénéficie pas d’un remboursement plus important au motif que l’on a gagné (et donc cotisé) davantage. Quand on va chez le dentiste, on n’est pas mieux remboursé parce que l’on est riche, alors même qu’on a pourtant cotisé davantage.
La France fait office de cas assez à part à ce propos puisque dans l’essentiel des pays du monde – et notamment chez nos voisins allemandsles cotisations sont plafonnées. Ici, on constate très clairement la progressivité du système français. Pour en faire la bonne mesure, on ne peut pas se contenter de regarder le seul impôt sur le revenu.
Jean-Philippe Delsol : A l’inverse de Monsieur Coquerel, je pense que les classes moyennes et supérieures sont de plus en plus matraquées fiscalement.
Par exemple, les contribuables des classes moyennes et supérieures qui ont souvent des revenus de location meublée sont beaucoup plus imposées à ce titre depuis deux ans. Avant le 30 septembre 2023, les loueurs de meublés de tourisme non classés bénéficiaient d’un abattement forfaitaire de 50% s’ils réalisaient moins de 77 000€ de recettes annuelles. Au 1er janvier 2025, ils ne bénéficieront que d’un abattement de 30% et en dessous de 15 000 € de recettes ! Les loueurs de meublés de tourisme classés bénéficiaient d’un abattement forfaitaire de 71 % s’ils réalisaient moins de 188 000€ de recettes annuelles. Au 1er janvier 2025, ils ne bénéficieront que d’un abattement de 50% et en dessous de 77 000 € de recettes.
En 2025, les revenus les plus importants seront mis à contribution avec la taxe à 8% sur la réduction de capital des sociétés réalisant plus de 1MD€ de chiffre d’affaires qui supporteront par ailleurs une surtaxe d’IS. Ils seront soumis, le cas échéant, à la nouvelle contribution différentielle sur les hauts revenus qui pourra s’ajouter à la contribution, additionnelle à l’impôt sur le revenu créée en 2011 au taux de 3 ou 4% sur le revenu fiscal de référence supérieur à 250 000 ou 500 000 €. Avec la CSG et les taxes additionnelles sur les revenus du patrimoine (17,2%) ces revenus, élevés, pourraient donc être taxés à 41,2% alors même qu’il s’agit souvent de dividendes versés après que les revenus de la société aient déjà subis un impôt au taux de 25%, voire plus de 30% en 2025.
Globalement, on peut arriver sur ces revenus mobiliers à des taux d’imposition (CSG comprise) proches de 50%.
Pour les revenus immobiliers locatifs, les taux d’imposition marginaux supérieurs sont déjà très élevés ; 66,2%. Faut-il aussi évoquer les hausses de taxe habitation, jusqu’à 60%, sur les résidences secondaires, l’augmentation des droits de vente de biens immobiliers…
Non, les revenus moyens ou supérieurs ne sont pas épargnés par l’impôt. Au contraire.
Dans quelle mesure la production de ce type de discours par une partie de la gauche permet-elle à la Cour des comptes (et, d’une façon générale, à une partie de la technostructure française) de proposer des mesures visant, ici, à mettre en place un remboursement au prorata des revenus des médicaments consommés ? Quel est le danger de fond de cette situation ?
Jean-Philippe Delsol : Le mouvement qui consiste à vouloir de plus en plus faire payer les services publics en fonction des revenus alourdira le poids des prélèvements qui pèsent sur ceux qui gagnent parce qu’ils travaillent plus, risquent, innovent, entreprennent… La progressivité de l’impôt est arbitraire parce qu’elle laisse l’Etat fixer de manière aléatoire des seuils de majoration de l’impôt. Elle est anti démocratique car elle donne à une majorité de gens qui ne payent pas l’impôt sur le revenu le droit de déterminer combien paieront les autres. Ainsi elle ne se prive pas d’être démagogique. Mais c’est au détriment de l’économie et de la paix sociale. Introduire la progressivité dans les tarifs de soins, les transports ou autres services publics ajouterait de la progressivité à des impôts qui les ont déjà doublement puisque les impôts des 10% les plus aisés servent à financer des services sociaux innombrables qui pour beaucoup sont tarifés en fonction des revenus de leurs bénéficiaires.
Bertrand Martinot : Vous avez tout à fait raison de lier ces deux phénomènes. Ils témoignent en effet, dans une certaine mesure au moins, d’une logique comparable, sinon similaire. Pour autant, la motivation première de la Cour des comptes n’est pas de travailler à rendre le système français plus redistributif… l’objectif est plus “trivial” puisqu’il s’agit simplement de faire des économies. Et si l’on voulait être tout à fait cohérent, il faudrait reconnaître que (sous réserve d’avoir un peu de marge de manœuvre sur les finances publiques) il serait pertinent d’appliquer les recommandations de la Cour des comptes… en mettant également en place une baisse des taux de cotisations sur les tranches supérieures, c’est-à-dire sur les salaires plus élevés. Ceux qui contribuent moins seraient aussi moins remboursés.
Une fois que l’on a dit cela, on peut effectivement dénoncer le discours d’une certaine gauche, qui se montre malhonnête sur la nature et l’efficacité de notre système de redistribution. Certains n’hésitent pas, pour s’assurer de pouvoir faire avancer leur combat, à manipuler les chiffresà donner dans la démagogie. Ce n’est d’ailleurs pas le cas de la seule gauche, puisque l’on peut aussi faire le même reproche au Rassemblement national. La France entière, que l’on parle de la technostructure ou des formations politiques, demeure très encapsulée dans une culture générale très étatiste. Si le monopole de l’étatisme revenait à la gauche, il y a longtemps que l’on aurait résolu l’essentiel des problèmes qu’il peut poser. La progression de l’État, de sa capacité à s’immiscer dans l’ensemble des aspects du quotidien ne repose pas sur la seule gauche. C’est un problème qui dépasse assez largement les seuls cadres partisans. Ce qu’il faut craindre, concrètement, c’est la dégradation des services publics régaliens, l’État ne pouvant tout simplement pas s’occuper de tout à la fois. Vouloir en faire trop, c’est, au final, faire plus mais aussi faire moins bien.
Faut-il penser que, en France, gagner bien sa vie, c’est financer pour tout le monde sans avoir soi-même accès au service final ?
Bertrand Martinot : Ce que l’on peut dire, en effet, c’est qu’une partie conséquente de la classe moyenne a le sentiment (à tort ou à raison, et parfois à raison) que le compte n’y est pas ; tant en termes de rémunération nette – c’est-à-dire après impôt et cotisation, donc – qu’en termes de reconnaissance, donc en quelque sorte de rémunération symbolique ; ce qui renvoie souvent à des problèmes de management et de culture d’entreprise.
Jean-Philippe Delsol : Il n’y a pas doute, les impôts français sur le revenu voisinent ou dépassent les niveaux confiscatoires. Ce qui explique peut-être en partie la baisse sensible des hauts revenus et de leur contribution au produit de l’impôt. Trop d’impôt tue l’impôt ou, comme le disait déjà, joliment, le ministre de Sully, Barthélmy de Laffemas « Les hauts taux tuent les totaux ».
Le jour où nous devront montrer notre déclaration de revenus pour déterminer le prix de notre pain de notre café, nous serons vraiment en pays communiste. Et tous seront plus pauvres. Mais déjà nous en prenons le chemin.
L’Express, 17 avril
Henri de Castries : “La France est le pays le plus mal géré d’Europe”
Grand entretien. L’ancien patron d’Axa, et président de l’Institut Montaigne, revient sur les racines de l’affrontement entre les Etats-Unis, la Chine et l’Union européenne. Dans ce choc des puissances, il estime que la France, par son laxisme budgétaire, est en train de perdre influence et crédibilité.
Full text:
Administrateur de LVMH et de Stellantis. Président en Europe du fonds d’investissement américain General Atlantic. Ancien membre du boardinternational de l’université de Tsinghua à Pékin. Et surtout, patron de l’assureur Axa de 2000 à 2016, dont il a fait un leader mondial : Henri de Castries est un capteur privilégié des secousses économiques et financières qui ébranlent les Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine depuis la déclaration de guerre commerciale lancée par Donald Trump, le 2 avril.
En exclusivité pour L’Express, le président de l’Institut Montaigne analyse les déséquilibres qui caractérisent ces trois modèles, dont aucun, à ses yeux, n’est durablement soutenable. Mais devant le “concours de biceps” quasi-quotidien auquel se livrent Donald Trump et Xi Jinping, il sait gré à l’Europe de garder la bonne distance. “Si on pense, à raison, que la politique de Trump est mauvaise, faire comme lui n’est pas la solution”, insiste-t-il.
L’Express : Dansl’affrontement brutal entre les Etats-Unis et la Chine, l’Europe tente de se frayer un chemin. Est-ce une chance pour elle de se remobiliser autour d’un projet commun?
Henri de Castries : Je ne sais pas si c’est une chance mais je suis sûr que c’est une nécessité, qui va forcer l’Europe à se transformer. Quand on observe le jeu de ces trois acteurs, on voit bien à quel point leur lecture du monde est différente. L’Europe a le sentiment douloureux d’être déclassée. Pour Trump, c’est l’Amérique qui a périclité, au motif que l’Europe l’aurait pillée pendant des décennies. Quant aux Chinois, ils affirment que les seuls garants d’un environnement stable et prospère, ce sont eux. Tout cela, évidemment, est contradictoire et, dans une large mesure, faux.
Les plus lucides sur leur propre situation, ou les plus honnêtes en tout cas, ce sont les Européens. Ils disent et constatent que leur modèle trouve aujourd’hui ses limites, dans plusieurs dimensions. L’UE ne s’est pas assez préoccupée de sa propre sécurité. En la déléguant de façon apparemment gratuite aux Etats-Unis, le jour où ces derniers ne veulent plus l’assurer ou la faire payer, l’addition est considérable. Même si la France a été plus lucide que d’autres sur sa défense.
Ensuite, les Européens n’ont pas utilisé à bon escient les marges de manoeuvre financières qu’offrait le parapluie américain pour investir et renforcer leur propre compétitivité. Ils ont plutôt accru, pas dans tous les pays mais globalement, la consommation et la protection sociale dont le financement, aujourd’hui, devient insoutenable. L’endroit dans lequel tout cela s’exprime le plus est évidemment la France, puisque nous sommes aujourd’hui le pays le plus mal géré d’Europe.
A l’évidence, l’Amérique n’a été volée par personne. Si elle affiche le déficit commercial dont Donald Trump se plaint, c’est en très large partie parce que les ménages américains consomment trop et n’épargnent pas assez. C’est ce niveau de consommation excessif qui crée leur déficit. Pas la volonté des autres de leur faire les poches. Pour autant, les Etats-Unis ont formidablement bénéficié de leur capacité à attirer l’épargne et les talents du reste du monde, parce qu’ils avaient jusqu’ici un modèle ouvert, dynamique, bienveillant et une influence considérable liée à leur puissance militaire.
Enfin, il y a le discours de Pékin. Les Chinois ne sont pas les acteurs paisibles et bienveillants qu’ils prétendent être. La manière dont ils ont joué avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce est l’une des raisons qui nous conduisent à la crise actuelle. Leur modèle est fondé, lui, sur une accélération technologique à marche forcée et subventionnée. C’est le Japon des années 1970, à la puissance dix en termes de population. Les Chinois ont commencé par exporter des biens peu sophistiqués, puis ils ont fait de tels progrès technologiques qu’ils sont passés devant les Occidentaux dans certains secteurs. Ce faisant, ils ont aussi développé des surcapacités industrielles phénoménales. Un boulet domestique dont ils cherchent désormais à se débarrasser en l’exportant partout sur la planète, à rebours des règles concurrentielles.
Aucun de ces modèles n’est donc pérenne?
Non. Et c’est ce qui génère les dissensions actuelles entre ces trois blocs. Par une politique totalement inappropriée, Donald Trump est en train de rendre encore plus flagrante cette asymétrie. Comme trois grands bateaux proches, ballottés par la tempête, les Etats-Unis, l’Europe et la Chine s’entrechoquent. Aucun de ces trois modèles n’est pérenne. Mieux vaut, dans ces conditions, avoir des capitaines expérimentés à la barre.
Quel cap faut-il suivre pour rentrer à bon port?
Celui de la raison, du bon sens, qui permettra de trouver une issue progressive et négociée à ces déséquilibres. Faute de quoi, ces derniers risquent de déboucher sur des violences, aussi bien internes qu’externes. D’où la nécessité, et c’est là que les choses deviennent préoccupantes, de pouvoir s’appuyer sur une architecture de discussion internationale, comme celle mise en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale avec l’ONU, l’OMS ou plus tard l’OMC. L’Europe, qui a connu le coût de cette guerre, a toujours essayé d’être constructive sur le sujet du multilatéralisme. Ce n’est plus le cas des Etats-Unis, depuis George Bush : au mieux, ils s’en désintéressent, au pire, ils le dynamitent. Les Chinois ont fait l’inverse, ils s’en sont saisis largement à leur profit.
Vous parlez d'”issue progressive et négociée”. En graduant sa première riposte face aux annonces de Trump, l’Europe semble avoir trouvé le bon tempo, malgré l’hyper-réaction des marchés financiers…
Les marchés n’ont pas surréagi, ôtez-vous cette idée de la tête. La Bourse, dans son principe, est l’expression d’une sagesse collective qui a la mémoire longue et qui n’ignore pas, parce qu’elle a lu les livres d’économie et se garde de toute impulsion imprécatrice, que les guerres commerciales conduisent nécessairement à moins de croissance et à plus de pauvreté.
A titre personnel, je n’ai jamais participé à l’espèce d’enthousiasme naïf qui a suivi l’élection de Trump sur le thème : “ça va être formidable”, “l’économie américaine va surperformer”. Il faut écouter ce qu’il a dit. Aujourd’hui, Trump fait juste ce qu’il a dit. Mais beaucoup ne voulaient pas l’entendre.
Joe Biden avait laissé une économie américaine au plus haut, la croissance était forte, le marché de l’emploi très sain, l’inflation revenait sous contrôle et les niveaux des marchés boursiers étaient extraordinairement élevés. Avec Trump, les marchés se rendent compte qu’ils sont poussés au-dessus du vide. Que cet optimum est, non seulement en train de se dérégler, mais qu’il pourrait même basculer vers quelque chose de pas du tout plaisant. Parce que la croissance va ralentir, l’inflation remonter et l’étau se resserrer autour de la Réserve fédérale. Dans quelques jours, c’est couru d’avance, Trump va s’en prendre à la banque centrale américaine et à son indépendance. Il va affaiblir le dollar de manière durable et le socle de la confiance dans la dette souveraine américaine est maintenant fissuré.
Si la “pause” qu’il a décrétée ne durait pas, les Européens devraient-ils rendre coup pour coup?
Surtout pas. Et pas sur le même registre. Washington et Pékin se livrent à un concours de biceps, une démonstration de force à l’intention de leur opinion. Mais si on pense, à raison, que la politique de Trump est mauvaise, faire comme lui n’est pas la solution.
La réaction de l’Europe, jusqu’à maintenant, a été mesurée et intelligente. Elle a frappé là où ça faisait mal, en ciblant des biens substituables, c’est-à-dire qu’on peut trouver ailleurs. Se priver du soja du Kansas n’est pas un problème, on en achètera désormais au Brésil. Ensuite, l’UE dispose d’une panoplie de mesures non tarifaires. Dans le domaine des services, où les Etats-Unis ont un excédent commercial très fort vis-à-vis de nous, c’est une arme redoutable.
On pourrait ainsi expliquer aux entreprises américaines qu’on suspend la protection de leurs brevets en Europe : ça ne coûte pas un centime, mais ça crée une insécurité juridique terrible. Ou lancer des enquêtes sur des pratiques anticoncurrentielles – les Chinois sont devenus experts en la matière – et mettre des amendes, non pas raisonnables mais considérables. Celle infligée à la BNP par les Américains il y a dix ans se chiffrait en milliards de dollars.
Emmanuel Macron, il y a quelques jours, a appelé les grands patrons à faire preuve de sens collectif en suspendant leurs investissements aux Etats-Unis. Quand on dirige une multinationale, comment articule-t-on cette injonction politique à la réalité du monde des affaires?
Chacun est libre de jouer son jeu, et il y a autant de situations que d’entreprises. Mais quelque chose saute aux yeux : le monde a changé. Et ce n’est pas arrivé du jour au lendemain après l’élection de Trump. Il ne suffit plus, pour une multinationale, d’être la meilleure dans ce qu’elle fait. Bien sûr qu’il faut une excellence technique. Bien sûr qu’il faut une compétitivité affûtée… Mais une entreprise n’évolue pas dans un univers éthéré. Le sentiment de faux confort, né de la mondialisation facile des années 1990, a conduit un certain nombre de groupes mondiaux à négliger deux risques. Le premier est d’ordre géopolitique. S’il a été longtemps faible, il n’a jamais disparu. Un marché peut se fermer du jour au lendemain.
Le second risque est lié aux ruptures technologiques. Soudain, un concurrent sorti de nulle part débarque avec un produit totalement disruptif. C’est l’histoire des compagnies de diligences qui ont pris de haut les inventeurs des premiers moteurs. Le métier, ce n’était pas la diligence, la locomotive ou l’automobile. Le métier, c’était le moyen de transport. Le métier, ce n’est jamais le produit, c’est la fonction. Aujourd’hui, le risque inhérent à toute entreprise, c’est de voir son produit concurrencé par quelque chose ou quelqu’un capable de remplir la même fonction, de façon différente et plus efficacement.
Sur ces deux fronts, géopolitique et technologique, les bascules vont bien plus vite qu’il y a vingt ou trente ans. C’est ce que démontrent les rapports de l’Institut Montaigne. La curiosité et l’agilité des entreprises sont les conditions de leur survie.
Dans le monde extrêmement fluctuant que vous décrivez, que faut-il privilégier : un climat pro business, dans lequel la puissance publique réduit le nombre de normes, ou une stabilité des règles juridiques et fiscales?
Les deux sont nécessaires et ne sont pas incompatibles. A quoi bon bénéficier de règles stables si elles constituent un carcan? C’est, à mon sens, l’un des défis européens majeurs : face à une concurrence internationale qui s’accroît, les Vingt-Sept, pour la plupart, ne sont pas capables d’offrir aux entreprises le terreau qui leur permettrait de prospérer. Ces Etats se sont eux-mêmes très inégalement réformés. A commencer par la France, où le secteur public n’a pas su s’adapter aux évolutions du monde.
Nous vivons un engourdissement, un affaissement du système public français, qui coûte de plus en plus cher et fonctionne de moins en moins bien. L’administration est devenue une bureaucratie. Comme un mauvais champignon, elle prospère sur l’arbre de l’économie, siphonne sa sève et menace de l’étouffer.
Vous parlez de la fonction publique comme d’un organisme vivant qui aurait sa propre autonomie. Le politique a tout de même une large responsabilité, non?
La fonction traditionnelle du dirigeant politique est d’imaginer, de proposer et de mettre en oeuvre des politiques publiques en s’appuyant sur l’administration. Dans un certain nombre de cas, les élus ou les ministres s’en sont trop remis à elle, pour suggérer puis élaborer les orientations générales. Cette dérive tient sans doute au fait que la France est probablement le pays dans lequel il y a le plus de fonctionnaires qui sont entrés en politique. Pour une raison simple : ils peuvent garder leur statut. L’endogamie du système est en large partie due à cela. L’administration se déguise pour confisquer le projet politique et la politique est prisonnière de l’administration.
C’est le début d’un programme présidentiel… Un patron aurait-il ses chances dans le contexte actuel?
Il faut arrêter de croire au mythe de l’homme providentiel! Dans la sphère politico-économique, ça n’existe pas. Ou alors, ça se termine en général assez mal. Parce qu’entre l’homme providentiel et l’autocrate, il y a une distance qui est assez aisément franchie.
Le vrai sujet est le suivant : les sociétés ont-elles la capacité à définir un projet collectif et le courage de l’assumer? Dans notre pays, nous avons raté plusieurs occasions de nous réformer. Ce moment n’adviendra en France que le jour où, collectivement, nous aurons pris la décision que la dépense publique doit diminuer.
On se moque de Trump en disant qu’il a bricolé ces tarifs douaniers, pays par pays, mais nous, nous maquillons aussi nos chiffres. Lorsqu’un ministre des Finances annonce qu’il a fait un effort budgétaire formidable, il s’est en général contenté de maintenir la progression de la dépense au même niveau que l’an passé. C’est de la poudre aux yeux! Non, la dépense publique ne peut être considérée comme stable que si on dépense le même nombre d’euros l’année 2 que l’année 1. En matière de finances publiques, nous vivons dans un déni total.
La question n’est pas de trouver un patron miracle pour redresser un pays au bord de l’explosion ou du délitement. Il faut arrêter de discuter de choses qui n’ont aucun intérêt et sur lesquelles les solutions sont connues et évidentes depuis longtemps. Concentrons-nous sur l’essentiel : réformer l’Etat pour accélérer la croissance, en redonnant de l’air à l’initiative individuelle, à l’investissement, à la confiance, etc.
Ne craignez-vous pas que, prétextant les désordres mondiaux, le gouvernement de François Bayrou laisse filer les déficits comme au temps du Covid?
C’est évidemment la solution de facilité. Mais attention! Nous sommes aujourd’hui un pays qui, s’il n’améliore pas sa gestion publique très rapidement, va perdre ce qui lui reste d’influence et de crédibilité. L’Allemagne a des problèmes, mais elle est correctement gérée. Le nouveau chancelier Friedrich Merz est en train de mettre en place un plan de relance massif sur les infrastructures et sur l’industrie qui va permettre à notre voisin de développer son secteur de l’armement, de trouver des débouchés alternatifs à la Chine et aux Etats-Unis. Pourquoi les Allemands peuvent-ils faire cela? Parce qu’ils ont géré leurs dépenses publiques avec prudence, ils sont en situation d’équilibre budgétaire, donc maintenant, ils peuvent se mettre en déséquilibre. La seule sortie possible en France, c’est une vigoureuse réforme libérale.
En affirmant cela, certains vont vous rétorquer que vous voulez faire du Trump ou du Musk?
Mais non! C’est tout le contraire! L’objectif de la nouvelle administration Trump, c’est la destruction méthodique d’un large pan des institutions américaines et internationales. Certes, elles n’étaient pas parfaites, mais elles n’avaient pas non plus conduit le pays au bord du gouffre. Le tandem Trump-Musk va probablement casser ce qui a fait une partie de l’attractivité de l’Amérique : sa puissance bienveillante. Raison pour laquelle le monde occidental et un certain nombre de pays émergents la regardaient avec les yeux de Chimène.
Etre une puissance bienveillante, c’est se donner les moyens d’attirer les talents du monde entier grâce à un système éducatif qui recherche l’excellence, grâce à une liberté économique permise par un niveau raisonnable des dépenses publiques et grâce à l’encouragement à la prise de risque. Ce qui continue à me rendre optimiste, c’est qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour l’Europe. A nous d’avoir l’audace de nous en saisir.
Le Figaro, 7 avril
L’éditorial de Gaëtan de Capèle: «Guerre commerciale, quand la France veut s’autopunir»
Pendant que la décision de l’Europe s’éternise, Emmanuel Macron demande aux chefs d’entreprise français, qui en restent sans voix, de ne plus investir aux États-Unis.
Full text:
L’offensive insensée de Donald Trump contre le reste du monde ne peut évidemment rester sans réponse. La première, très puissante et peut-être la plus dissuasive, s’exprime à travers la chute des marchés financiers, ce baromètre de la vie économique. Leur religion est faite depuis le départ : bâtie sur le mensonge et l’arbitraire, fondée sur un protectionnisme suicidaire, cette guerre commerciale menace de saborder l’économie mondiale. L’Amérique elle-même, censée en bénéficier, pourrait en être la victime. Après avoir fait tourner leurs modèles, la plupart des économistes craignent une récession, doublée d’une reprise de l’inflation. Sondage après sondage, l’Américain de la rue, souvent électeur de Trump, ne cache pas son inquiétude, tandis que les entreprises assistent, impuissantes, à l’effondrement de leur cours de Bourse.
Punissez-vous pour punir Donald Trump !
Parmi les adversaires de Trump, la Chine, la première, a apporté sa réponse, brutale, dissuasive et sans doute efficace : ses droits de douane appliqués aux produits américains seront relevés œil pour œil, dent pour dent. Et nous ? Pendant que la décision de l’Europe s’éternise, Emmanuel Macron, après une analyse implacable de la situation, demande aux chefs d’entreprise – qui en restent sans voix – de ne plus investir aux États-Unis. « Punissez-vous pour punir Donald Trump ! », leur suggère-t-il, sans l’ombre d’une chance qu’ils obtempèrent.
Le ministre de l’Économie, qui a déjà aussi conseillé aux entrepreneurs français d’être plus verts et moins rentables, appelle cela le patriotisme économique. Il faut habiter en France, où l’État ose tout, y compris donner des leçons de gestion aux entreprises, pour assister à ce stupéfiant transfert de responsabilité, teinté de moralisme. Rien de tout cela n’a évidemment de sens face à un Donald Trump qui ne conçoit les relations qu’à travers l’affrontement et les rapports de force. Dans la partie qui se joue face à lui, il est même à craindre qu’avec cette improbable séquence présidentielle, traduisant un certain affolement, la France se soit tiré une balle dans le pied.
IFRAP, 2 avril
Le nombre d’agents publics en augmentation de 32 000 en 2024
Et en baisse de 0,4% au quatrième semestre 2024
Full text:
L’INSEE vient de publier fin février sa mise à jour de l’emploi salarié au quatrième trimestre 2024. Or tandis que l’emploi salarié se replie sur le T4 2024 de 0,3%, celui de la fonction publique baisse également et dans des proportions encore plus importantes à -0,4%. Cette contraction n’est pas anodine, car elle constitue un véritable point d’arrêt d’une croissance de l’emploi public constante depuis le début du 2d quinquennat d’Emmanuel Macron (T2 2022). Pour la Fondation IFRAP – et en attendant la livraison de mises à jour complémentaires – dont certaines ne seront disponibles que dans 2 ans (les résultats de l’enquête SIASP n’étant publiés qu’avec 2 ans de retard) – les conséquences de l’instabilité de la politique actuelle (difficile adoption de la LFI 2025 en février 2025 après l’adoption d’une loi financière spéciale en décembre 2024) notamment au niveau de la FPE, mais aussi une perte d’attractivité de l’emploi public (FPT) devraient expliquer cette contraction dont on verra si elle se confirme au T1 2025 en avril lors de la nouvelle mise à jour de l’enquête INSEE. Néanmoins, sur un an, l’emploi public augmente encore de +32.100 agents contre +69.100 l’année précédente, soit une hausse 2 fois moins rapide. Une bonne nouvelle en période d’ajustement budgétaire.
Un repli de l’emploi public de -0,4% du T4 2024, mais +32.100 agents sur un an :

Pour bien comprendre l’importance du repli trimestriel de l’emploi public, nous proposons d’adopter une perspective de plus long terme. L’emploi public dans le secteur non marchand (OQ) est le suivant :
Entre le T3 2024 et le T4 2024, l’emploi public dans le secteur non marchand (OQ) s’est replié de -22.400 agents (-0,4%), l’emploi public étant cependant en croissance sur un an dans ce secteur avec +27.900 employés publics soit une croissance de +0,5%.
Ces chiffres ne sont pas sensiblement différents de ceux relatifs aux agents publics au sein de l’emploi total (y compris secteur marchand, dont activités de loisir, tourisme, transports, etc.), puisque l’on relève également un repli de -0,4% avec -22.100 employés publics dans l’ensemble des secteurs au T4 2024 et sur un an la tendance est de +0,5% avec +32.100 employés publics tous secteurs confondus, soit une croissance 2 fois moindre que l’année précédente (+69.100 agents en 2023).
La principale différence avec le graphique précédent est la conséquence des privatisations en début de période (T4 1989-T1 1990), qui a fait sortir massivement des employés classés au sein du secteur public vers le secteur privé. L’emploi public dans l’ensemble des secteurs atteint 22,3% de l’emploi salarié total, soit à un niveau stable sur les 3 derniers trimestres de 2024. En revanche la croissance de l’emploi acquise lors du T3 2024 (+18.900 agents) est totalement effacée par le repli du T4 (-22.100) et contribue ainsi à diviser par 2 la croissance des effectifs publics sur un an glissant.
Une 1re inflexion depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron sauf dans le secteur privé :

Cette flexion conjoncturelle de l’emploi public dans son ensemble ne profite pas de la même manière au secteur non marchand et au secteur marchand. Lorsque l’on analyse la dynamique de l’emploi public au sein des secteurs OQ (non marchand) et des autres (AZ-OQ), cette tendance doit être nuancée. En effet, alors que le secteur privé dans son ensemble se replie au T4 2024 avec -0,3% (-68.000 emplois), les employés publics du secteur privé voient au contraire leurs effectifs croitre de +0,13% (+300) à 224.200 salariés.
Il s’agit en tout cas de la première flexion significative de l’emploi public depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron (T2 2022), après un pic atteint au T3 2024 avec près de 6,06 millions d’agents publics, dont 5,8 millions, dans le secteur non marchand (96,3%). Sur la même période, l’emploi public dans le secteur marchand (EPIC, structures industriels et commerciales, entreprises publiques), a augmenté de 13.300 employés, soit une croissance de 6,3%.
Conséquence sur le ralentissement de la croissance des effectifs en 2024 :
Si l’on regarde les éléments fournis par l’INSEE cette fois pour la dernière année traitée (soit 2022[2]) au sein des administrations publiques, on constate que si la croissance de l’emploi public atteignait 0,3% (tous types de contrats soit (+16.600 agents – effectifs physiques)) et +0,5% (hors contrats aidés). Cette dynamique est très proche de celle enregistrée pour la même période dans l’enquête trimestrielle, soit pour la même année glissante au T4 2022 comparé au T4 2021, +0,4% et une croissance de +25.300 agents.
Les évolutions 2022 montraient alors une FPE en croissance (+0,6%) portée par les lois de programmation sectorielles (dont l’école), tandis que la FPT était à l’arrêt (0%) la réduction des emplois aidés (-12.000) servant à absorber une augmentation des effectifs réguliers de la FPT (+0,5%). Dans la fonction publique hospitalière, la croissance des effectifs (+0,1%) en lien avec les mesures du Ségur de la Santé n’était ralentie là encore que par une baisse des contrats aidés puisque sans eux les effectifs de la FPH augmentaient de +0,2% sur un an.
Notons toutefois qu’en 2023 d’après l’enquête trimestrielle la croissance a été à nouveau plus rapide avec une croissance des agents publics tous secteurs de +1,2% qui retomberait ensuite en 2024 à +0,5%. Pour la fondation iFRAP, la dynamique observée en 2022 devrait se répartir à peu près avec les mêmes effets en 2024, selon les corrections suivantes :
- La FPE devrait voir sa dynamique de croissance modérée (hors opérateurs) par la régulation budgétaire à l’œuvre en 2024 avec les gels de dépenses que l’on connaît et qui ont inclus également la masse salariale[3] très certainement. Sur la fonction QZ administration publique (y compris les collectivités territoriales néanmoins), la croissance des effectifs ne serait que de 4.500 personnes hors enseignement scolaire et de +18.700 avec (QZ+PZ).
- Par ailleurs, dans la FPT le baromètre Horizon 2025 RH disponible[4], montre que les intentions de recrutement fléchissent (43,4% des employeurs locaux pensent recruter en 2024, contre 51% en 2023), dont très sérieusement à hauteur de 32,2% soit -3 point par rapport à l’année précédente. Les recrutements d’ailleurs iraient majoritairement au remplacement des effectifs partant à la retraite en raison de l’importante transition démographique que vit actuellement la FPT. Les créations pures (hors catégorie « les deux »), baissant à 9% (-1 point) contre 16% en 2022. Nous formulons donc l’hypothèse d’une baisse probable des effectifs de l’emploi territorial en 2024. D’autant que les mesures de revalorisation de salaires intervenues en juillet 2023 avec extension en année pleine en 2024 devraient contraindre à jouer sur les schémas d’emplois pour éviter l’explosion des dépenses de personnel. Une incertitude existerait s’agissant des EHPAD et autres ODAL, dans la mesure où les besoins non couverts restent sensibles[5]. On enregistre secteur public et privé confondu (QB) dans le domaine médico-social et social avec ou sans hébergement une croissance des effectifs de 5.500 emplois sur un an en 2024. D’après l’enquête trimestrielle.
- Enfin, la FPH devrait selon nous et d’après l’enquête BMO (besoins de main-d’œuvre de France Travail[6]) continuer d’apporter une contribution significative à la croissance des effectifs en 2024. Certes les projets de recrutement difficile dans la santé et l’action sociale représenteraient 64% des près de 303.000 projets de recrutement intervenant dans l’année. Néanmoins, nous pensons que la FPH grâce aux mesures de revalorisations statutaires et salariales dynamiques devrait compenser ce vent contraire, d’autant qu’aucune mesure de régulation budgétaire n’est intervenue en 2024 pour en limiter la croissance. La croissance sur ce segment dans l’enquête emploi publique et privée confondue représenterait en 2024 une croissance de +17.700 emplois.
[1] https://www.ifrap.org/fonction-publique-et-administration/emploi-public-58-700-salaries-en-2023. On remarquera que le chiffre provisoire de 2023 a été depuis rehaussé puisqu’en 2023 la croissance de l’emploi salarié public est finalement de +69.100 au lieu de +58.700 entre le T4 2022 et le T4 2023, sur un an glissant.
[2] INSEE, informations rapides n°94, 12 avril 2024 https://www.insee.fr/fr/statistiques/8171985
[3] On parle de 16 milliards d’euros intervenus en cours de gestion, voir https://www.senat.fr/rap/l24-144-1/l24-144-11.pdf#page=79, ce qui ne pourrait pas ne pas avoir de conséquence sur l’exécution du schéma d’emploi et la sous-exécution des plafonds d’emplois au sein des ministères.
[4]https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/a20c3179af89a735be4f9f827a3d0134.pdf, mais sur des enquêtes réalisées en 2024.
[5] Voir ainsi France Stratégie, Travailler dans la fonction publique, le défi de l’attractivité, décembre 2024 https://www.strategie.gouv.fr/files/files/Publications/2024/Travailler%20dans%20la%20fonction%20publique/2024-NS-Servir-D%C3%A9cembre.pdf
[6]https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2024-04/BMO2024_rapport_France.pdf
L’Express, 31 mars
Management “à la française” : le constat sévère de l’Inspection générale des affaires sociales
Entreprises. “Les pratiques managériales françaises apparaissent très verticales et hiérarchiques”, selon un rapport de l’Igas.

Full text:
Les pratiques managériales apparaissent “plus verticales” en France que chez ses voisins européens. Selon un rapport publié ce vendredi 28 mars par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), notre pays se retrouve dans une position “peu flatteuse”.
Le rapport visait à analyser les effets des pratiques managériales des entreprises sur les politiques sociales, pouvant se mesurer via le taux d’emploi, l’absentéisme ou encore le sentiment de perte de sens au travail. Pour ce faire, les auteurs ont comparé la situation de la France avec l’Allemagne, l’Italie, la Suède et l’Irlande.
Ils font d’abord le constat “contre-intuitif” que les critères d’un management de qualité sont très “convergents” quel que soit le pays, le secteur d’activité ou la taille des entreprises. “Le bon management […] est partout, et d’abord, décrit comme celui qui se caractérise par un fort degré de participation des travailleurs, d’une part, et qui assure la reconnaissance du travail accompli, d’autre part”, indique le rapport. D’autres “traits fondamentaux” s’y ajoutent comme l’autonomie ou la “décentralisation de la décision”.
Des résultats “médiocres”
L’examen comparatif des pratiques managériales “place la France dans une position peu flatteuse par rapport à ses voisins”, indique l’Igas. “Les pratiques managériales françaises apparaissent très verticales et hiérarchiques”, la reconnaissance du travail est “beaucoup plus faible” que dans les autres pays étudiés et la formation des managers est “très académique”, poursuit le rapport, pointant des résultats “médiocres” dans le domaine du management.
Les auteurs relèvent que les pays étudiés sont confrontés à “des défis managériaux proches”, citant la crise du sens au travail, l’encadrement d’équipes en mode hybride, ou la prise en compte des grandes transitions démographique, technologique et écologique. La place allouée au dialogue social “différencie” les pays, celui-ci ayant en France un “impact plus limité sur les pratiques managériales”.
L’Igas formule une série de recommandations, comme faire évoluer la formation des managers ou renforcer leur accompagnement, la possibilité d’inscrire les pratiques managériales dans les thèmes du dialogue social obligatoire ou encore d'”étendre les pouvoirs du CSE en matière d’organisation du travail”. Le rapport recommande aussi des réflexions sur la question du management qui pourraient aboutir à un accord national interprofessionnel (ANI).
IREF, 28 mars
Pour les écolos, la multiplication des licenciements est due aux défaillances de l’État
Full text :
Décidément, les députés écologistes n’en loupent pas une. Ils ont déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciement. La commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a dit qu’aucun obstacle ne s’opposait à la création de cette commission d’enquête. Elle devrait donc voir le jour puisque les écologistes ont manifesté le souhait de faire usage de leur droit de tirage pour cela (l’article 141, alinéa 2 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête »).
On notera au passage que le rapporteur de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée sur la proposition de résolution était Benjamin Lucas-Lundy, par ailleurs premier signataire de la proposition de résolution, c’est-à-dire porteur du texte ! Avouons que c’est cocasse, pour ne pas dire digne d’une république bananière !
Mais ne nous arrêtons pas à cela et lisons l’argumentaire des députés écologistes. Ils constatent l’augmentation des plans de sauvegarde de l’emploi (+40% entre 2023 et 2024) et des ruptures de contrats de travail (+50%). Reprenant les chiffres de la CGT (jamais exagérés comme chacun le sait), ils annoncent 250 plans de licenciements cette année menaçant près de 300 000 emplois.
A quoi cela est-il dû ? Selon les auteurs du texte, aux politiques menées depuis des décennies au nom de la compétitivité et de l’attractivité économique : la flexibilité accrue des licenciements, les exonérations de cotisations, les réformes de l’assurance chômage, la maximisation les profits et les dividendes, les délocalisations, etc. Bref, la responsabilité des pouvoirs publics ne fait pas de doute : ce sont leurs choix qui ont accéléré la destruction du modèle social français et entraîné le pays dans une « faillite sociale et économique ». Et aujourd’hui, face aux licenciements, le Gouvernement n’agit pas ; il est « un simple spectateur du désastre ».
Nous invitons tous les députés écologistes au colloque de l’Iref du mercredi 2 avril 2025. Ils y apprendront que les plans sociaux et les licenciements ne sont pas dus à une quelconque défaillance de l’État, mais bien à son omnipotence. Trop d’impôts et de taxes, trop de normes, trop de dépenses publiques, trop d’instabilité réglementaire, trop de nuisances syndicales financées par les impôts… expliquent pourquoi les entreprises connaissent des difficultés économiques et sont contraintes de licencier.
Si commission d’enquête il doit y avoir, c’est sur la responsabilité des pouvoirs publics (députés compris) dans la non-mise en œuvre d’une véritable politique de l’offre en France !
INRAP, JDD, 26 mars
Déficit commercial : la France peut-elle encore éviter le naufrage ?
Le JDD publie en exclusivité une étude de la Fondation IFRAP sur l’aggravation du déficit commercial français. Quels en sont les enseignements ? Sa directrice, Agnès Verdier-Molinié, nous répond.
Full text :
Le JDD. Votre étude met en lumière un déficit commercial persistant pour l’économie française, qui signifie que la France importe beaucoup plus de biens qu’elle n’en exporte. Comment l’expliquez-vous ?
Agnès Verdier-Molinié. En 2023, la France affiche le pire déficit commercial de la zone euro, juste en dessous des cent milliards d’euros. Un peu en baisse mais surtout en raison du recul du déficit énergétique. Ce niveau de déficit commercial est de loin supérieur à celui des autres pays de la zone euro. Même en excluant le déficit commercial lié à l’énergie, la France reste parmi les pays les plus déficitaires.
Quels secteurs souffrent le plus du déficit commercial ?
On constate un déficit commercial chronique ces dernières années dans l’automobile, les machines-outils et l’électronique-informatique, alors que ce n’est pas du tout le cas en Allemagne et en Italie, par exemple. L’Allemagne, en particulier, n’est déficitaire que dans le textile-habillement et reste excédentaire dans les autres secteurs. En revanche, la France affiche heureusement un excédent commercial dans l’aéronautique, la pharmacie et la chimie-plastique, ainsi que dans le luxe. Toutefois, l’excédent du secteur du luxe, y compris les vins et spiritueux, pourrait être fragilisé par les tensions actuelles avec la Chine et les États-Unis.
Ce déficit est en légère amélioration en 2024, mais reste bien au-dessus des niveaux d’avant la crise de 2008. Pendant que d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Italie, affichent des excédents, la France creuse son déficit. Comment peut-elle retrouver un excédent durable ?
Notre étude montre que la part des exportations de marchandises de la France dans le monde est extrêmement faible. Elle est inférieure à 3 %, contre 5 % pour l’Allemagne, 8,5 % pour les États-Unis et 14 % pour la Chine. Cette faiblesse est un sujet de préoccupation, et il est urgent d’améliorer la compétitivité de nos entreprises industrielles. Par ailleurs, la balance commerciale de l’agriculture et de l’agroalimentaire, historiquement excédentaire, est en baisse ces dernières années. Ça doit devenir un point majeur de préoccupation.
De quels pays dépendons-nous le plus ?
La balance commerciale de la France est négative avec la Chine et avec de nombreux pays européens. En 2023, notre déficit commercial atteint – 40 milliards avec la Chine, – 9 milliards avec l’Allemagne, – 9 milliards avec les Pays-Bas, -12 milliards avec la Belgique, et nous sommes aussi devenus déficitaires avec les Etats-Unis à -6,6 milliards. Ce sont les principaux pays avec lesquels la France enregistre un déficit commercial significatif, ce qui signifie que nous en importons beaucoup plus que nous n’y exportons.
Une fiscalité du capital plus favorable encouragerait l’investissement des entreprises et des ménages dans l’économie
Dans quel secteur les entreprises françaises n’investissent-elles pas assez ?
Dans les secteurs nécessitant une main-d’œuvre hautement qualifiée, une de nos études a comparé le niveau des charges sur les hauts salaires entre la France et l’Allemagne. Il en ressort qu’au-delà de trois Smic, les employeurs français supportent 24 milliards d’euros de charges supplémentaires par rapport à leurs homologues allemands, un écart gigantesque. Nous favorisons trop en France les embauches à bas salaire en reportant la charge sur les emplois qualifiés ce qui pénalise l’industriel. Tous les secteurs industriels à forte valeur ajoutée, où l’emploi de main-d’œuvre très qualifiée (et donc mieux rémunérée), sont donc pénalisés par notre modèle social. Sans compter les taxes de production ultra-chères en France et la fiscalité du capital plus élevée qu’ailleurs en Europe. Nous sommes donc plus chers à l’export. Cela n’incite pas nos industriels à investir en France, au contraire. Ils sont plus incités aujourd’hui à investir aux États-Unis voire même en Italie…
Quelles mesures urgentes propose l’IFRAP pour inverser la tendance ?
Il est impératif d’alléger les taxes de production, qui pèsent particulièrement sur les entreprises industrielles. Nos entreprises notamment industrielles subissent des écarts de prélèvements considérables entre la France et l’Allemagne, ainsi qu’avec la moyenne de la zone euro. En effet, les entreprises tricolores supportent 157 milliards d’euros de prélèvements obligatoires supplémentaires, dont 102 milliards liés aux cotisations sociales et une cinquantaine de milliards aux taxes de production. Il serait nécessaire de plafonner aussi les charges sur les hauts salaires, comme cela existait auparavant, avec un plafond fixé par exemple à deux fois le plafond de la Sécurité sociale. Au-delà, il n’y aurait plus de cotisations pour la retraite, la maladie, la famille et le chômage. Enfin, une fiscalité du capital plus favorable encouragerait l’investissement des entreprises et des ménages dans l’économie. Pour être dans la moyenne de la zone euro, il faudrait baisser la fiscalité du capital qui pèse sur les entreprises et les ménages qui investissent dans les entreprises de 67 milliards d’euros par an.
Ajoutons à cela la nécessité d’alléger les normes qui pèsent spécialement en France sur nos entreprises autour de 80 milliards d’euros par an. Certaines sont à supprimer tout de suite comme le Zéro artificialisation nette (ZAN) qui bloque les implantations d’usines par exemple. D’autres, comme la date de 2035 pour l’interdiction des véhicules thermiques neufs, sont aussi à supprimer au niveau européen si l’on veut sauver notre industrie automobile. Quoi qu’il en soit, il est plus que temps de se réveiller. Notre déficit commercial abyssal n’est que le reflet de notre désindustrialisation et de notre manque de compétitivité lié à un « modèle » social beaucoup trop cher.
Le Figaro, 14 mars
Comment l’industrie française de défense se met en ordre de bataille
Fleurons de l’industrie, PME et start-up innovantes, sous-traitants… Tout un écosystème est mobilisé pour faire face à la menace russe amplifiée et au retrait de l’allié américain.
Full text :
Chez Fanny Turgis et Patrick Gaillard, dirigeants de l’entreprise – de taille intermédiaire (ETI), 400 salariés – qui porte leurs noms, on est assez loin de l’image d’Épinal du conglomérat gigantesque et top secret qui fabrique l’arsenal de la défense nationale. Ils ont la quarantaine, ils sont amis dans la vie, associés en affaires, et commencent, petit à petit, à se faire une place dans ce monde très fermé.
C’est que cette société, qui réalise un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros, est en train de réussir là où les plus grands du secteur patinent… Dans leur atelier de Blois (Loir-et-Cher), ils ont réussi à développer, en seulement quatre ans, le plus grand drone sans pilote jamais conçu en France.
Le ministre des Armées Sébastien Lecornu leur a d’ailleurs rendu un hommage appuyé, lors d’une visite le 27 février dernier de leur usine, où ils achèvent la mise au point de leur drone Aarok, future coqueluche de l’armée française.
Ce projet ambitieux est né d’une analyse du contexte géopolitique : « Nous avons étudié les différentes impasses qui avaient été faites dans les systèmes de défense français, raconte Fanny Turgis, présidente de Turgis Gaillard. Nous avions anticipé qu’il y aurait un trou dans la raquette sur ce type de drone dont les armées ont grandement besoin et que l’on ne pourrait pas rester indéfiniment dépendants d’équipements américains. »
Une approche agile
Partant de ce constat, l’ETI développe l’Aarok, un drone Male (moyenne altitude longue endurance) d’une envergure de 22 mètres, capable de voler entre vingt-quatre et trente heures et d’emporter jusqu’à 1,5 tonne d’armement. Ce drone constitue un moyen de surveillance et d’intervention simple, robuste et bon marché et pourrait être disponible en quantité pour être déployé au plus près des lignes de front.Les premiers tests de roulage viennent d’avoir lieu, et le premier essai en vol est prévu en juin. L’état d’avancement de ce projet contraste avec celui de l’Eurodrone, un programme européen (Allemagne, France, Espagne, Italie) initié en 2013… « L’Eurodrone, qui a pour ambition de supplanter l’américain Reaper, affiche des performances extrêmement ambitieuses, donc très coûteuses, et accumule des retards considérables », explique l’expert en armement Marc Chassillan.
« Il aura coûté plus de 7 milliards d’euros et risque d’être dangereusement vulnérable dans un conflit de haute intensité avant même sa mise en service, prévue en 2032 !, alerte-t-il. L’Aarok, qui n’a bénéficié d’aucun financement public, est la preuve qu’en dehors des programmes étatiques menés par les grands groupes, des ETI innovantes adoptant une approche agile et pragmatique peuvent produire des résultats remarquables. »
Le risque se situe entre 2026 et 2030
L’épopée entrepreneuriale de l’Aarok n’est plus une aventure isolée : de plus en plus, on assiste à l’émergence de projets portés par des start-up ou des PME. La Direction générale de l’armement, dont le délégué général, Emmanuel Chiva, a beaucoup œuvré dans ce sens, n’hésite pas à parler de « révolution culturelle ».
Car l’Histoire, la grande, la dramatique, pourrait s’accélérer, entre menace russe amplifiée et retrait de l’allié américain. « Nous avons lancé de grands programmes européens d’armement, comme le système de combat aérien du futur (Scaf), le char franco-allemand MGCS ou le porte-avions NG, qui ne verront le jour qu’autour des années 2040 », assure Charles Beaudouin, général de division, président de Coges Events, organisateur d’Eurosatory.
« Mais on découvre brutalement que le risque de confrontation majeure avec l’armée russe se situe entre 2026 et 2030 et pas dans vingt ans ! poursuit-il. Il faut aller vite, changer de logiciel, préparer la guerre possible de demain plutôt que celle d’après-demain… » En finir avec les procédures d’instruction très lourdes et opter pour des instruments plus flexibles, permettant de produire rapidement des objets relativement simples, drones, petits véhicules, mortiers, etc.
« Il faut passer à une plus grande échelle »
Bien sûr, une prise de conscience a eu lieu après le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Quelques mois plus tard, Emmanuel Macron annonce l’entrée de la France et de l’Union européenne dans une « économie de guerre », et la base industrielle et technologique de défense française (la BITD, constituée de neuf grands groupes d’envergure mondiale – Thales, Safran, ArianeGroup, Dassault Aviation, KNDS France, Arquus, Naval Group, MBDA, Airbus – ainsi que de 4 500 petites entreprises), se mobilise comme jamais.
Terre. Le MGCS, char franco-allemand du futur. Mise en service : 2045.
« Depuis 2022, notre industrie de la défense s’est mise en mouvement sous l’égide du ministère des Armées, se félicite Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie. On a multiplié par quatre la production de canons Caesar et la production de missiles de courte portée. Le groupe Dassault pourrait envisager de produire jusqu’à cinq Rafale par mois, Safran fabrique deux fois plus d’armement sol-air modulaire AASM, Thales a doublé sa production de radars dans son usine de Limours… »
« Les industriels ont la capacité de réagir, poursuit le ministre. Maintenant, il faut passer à une plus grande échelle, mais, pour cela, il faut que les financements publics, et privés, soient là. Au niveau européen, la présidente de l’Union européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé des dérogations possibles aux règles de déficit public, ce qui montre le changement d’état d’esprit. »
« Nous avons perdu trois années précieuses »
Il n’empêche qu’en dépit des efforts fournis pour produire davantage, la course de vitesse est encore loin d’être gagnée. L’enjeu ? Passer d’une économie de flux à une économie de stock. La constitution de stocks, c’est le nerf de la guerre…
Charles Beaudouin, général de division, souligne : « Nous avons perdu trois années précieuses que nous ne rattraperons pas, en n’engageant pas, dès le premier semestre 2022, des fonds spéciaux pour reconstituer nos stocks de munitions et de rechanges. Les pièces de rechange autorisent l’autonomie d’action sur le théâtre d’opérations mais permettent aussi aux équipages de s’entraîner. Et il faut rehausser le niveau d’entraînement, comme sur le char Leclerc, notoirement insuffisant. »
Le défi est immense. Éric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, l’a répété, le 5 mars, lors de la présentation des résultats annuels du groupe : « Un point de cadence supplémentaire sur un Rafale nécessite plusieurs mois de préparatifs. »
Besoins en matériaux critiques
Une montée en puissance ne se décrète pas, elle se prépare. « En trois ans, un important travail d’identification des manques a été réalisé. Les entreprises du secteur de la défense ont recensé leurs besoins en matériaux critiques, du titane aux poudres spéciales, en machines-outils ou en microprocesseurs, ont cartographié leurs fournisseurs de manière à sécuriser les chaînes de valeur », assure Emiland d’Alincourt, associé au sein du cabinet Eurogroup Consulting, spécialiste de la défense.
Une chaîne de production, comme nos industriels le savent bien surtout depuis la crise du Covid-19, est à la merci du défaut d’un seul de ses sous-traitants. Il est donc indispensable de les accompagner, notamment en termes de financement, comme l’a rappelé le ministre Lecornu dans La Tribune dimanche, le 9 mars.
Pour veiller au grain, un nouveau poste a même été créé en mars 2024 au sein de la DGA : celui de directeur de l’industrie de défense. La mission d’Alexandre Lahousse, ingénieur de l’armement, consiste à « assurer la pérennité, la qualité, la performance et la résilience des entreprises de défense au profit de l’autonomie stratégique de la France ».
Faire appel à des industriels de l’automobile
Cela passe aussi par un allégement normatif. « Il faut simplifier. Si une arme répond à 80 % du cahier des charges et qu’elle est disponible rapidement, c’est mieux qu’une arme qui répond à 100 % du cahier des charges, mais qui arrive trop tard ou pas en nombre suffisant », assure le général Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air et ancien commandant suprême des forces alliées chargé de la transformation de l’Otan.
Autre écueil possible au réarmement en cours : le manque de main-d’œuvre. Les industriels organisent leurs propres filières de formation, à l’image de Thales. « Les compétences dont nous avons besoin, comme celles de sonaristes ou de radaristes, sont très pointues et rares, indique Philippe Keryer, directeur stratégie, recherche et technologie du groupe. Nous mettons en place 40 académies internes, Thales est devenue une société apprenante. »
Pour produire plus vite, tous les scénarios sont sur la table. Pourquoi ne pas faire appel à des industriels de l’automobile, détenteurs d’un intéressant savoir-faire en termes de production de volumes ? En visite dans l’usine Renault de Douai, le 5 mars, Stéphane Séjourné, le vice-président de la Commission européenne, a lancé l’idée : « Les fournisseurs de l’automobile, même peut-être des constructeurs eux-mêmes, peuvent participer à certaines commandes dans le domaine de l’industrie de défense. Tout ça participe au renforcement également de la filière automobile. »
Luca de Meo, d’ordinaire loquace, n’a pas bronché, mâchant son chewing-gum en silence tout en regardant ses pieds. A-t-il pris Stéphane Séjourné pour un fou, alors qu’il vient juste de redresser avec succès le constructeur automobile français ? Lui est-il revenu le souvenir de Louis Renault ?
Nommé en 1914 coordinateur des industries de la Seine pour la fabrication d’obus, le lointain prédécesseur de Luca de Meo ne ménagea pas ses efforts pour doper l’effort de guerre. Les usines Renault fabriquèrent ainsi 500 000 pièces pour fusils, 1 000 canons, plus de 20 000 véhicules, sans compter plus de 2 000 chars légers, décisifs pour la victoire des Alliés en 1918.
Le Point, 13 mars
Le plan de Marc Ferracci pour relancer l’industrie française
EXCLUSIF. Défense, automobile, acier… Le ministre de l’Industrie et de l’Énergie explique comment regagner en compétitivité face à la Chine et aux États-Unis.
Extraits :
Le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Marc Ferracci, reçoit autour d’un café dans son vaste bureau, au troisième étage de l’hôtel des ministres à Bercy. Il s’agit du même bureau qu’occupait son ami Emmanuel Macron quand il était ministre de l’Économie en 2014. Économiste de formation et ancien professeur à l’université Panthéon-Assas, Marc Ferracci appartient au premier cercle des proches du président qu’il a rencontré fin 1999 lors de leur préparation commune au concours de l’ENA.
Diplômé d’HEC, il a notamment inspiré les réformes du marché du travail et des politiques de l’emploi. Face aux défis de la concurrence internationale et de la transition écologique, Marc Ferracci propose une stratégie axée sur une baisse des coûts de l’énergie, une réduction massive du coût du travail via une refonte du financement de la protection sociale, une simplification radicale des normes avec l’introduction de « clauses d’extinction », et un renforcement des outils de défense commerciale européens. Le détail de ses propositions alors que se tient ce mercredi 12 mars un Conseil compétitivité à Bruxelles.
Le Point : Dans un monde de plus en plus dangereux, avec un président américain Donald Trump visiblement moins enclin à protéger les Européens, comment peut-on doper notre industrie de défense française ?
Marc Ferracci : La France dispose d’une base industrielle et technologique de défense qui représente 4 000 entreprises, avec des groupes leaders et tout un écosystème de fournisseurs et de PME qui travaillent à la fois pour la défense et pour des industries civiles. C’est tout le sujet du financement et de l’expression des besoins qui va faire l’objet de discussions dans les prochaines semaines.
Comment financer cette montée en puissance ?
Le gouvernement fera des annonces sur le financement des industries de défense le 20 mars avec le ministre de l’Économie Éric Lombard et le ministre des Armées Sébastien Lecornu. Le principe consiste à orienter le plus possible les investissements privés vers la base industrielle de défense. Aujourd’hui, de grands acteurs, notamment de grands fonds d’investissement, se sont détournés de nos industries de défense. Ce frein peut venir d’une interprétation de la réglementation européenne, comme la taxonomie qui traite différemment certains investissements selon leur impact sur l’environnement. Si on a une visibilité claire sur les débouchés et si on a des fonds propres, la France peut faire monter en charge son industrie de défense. (…)
Le maquis de normes françaises n’est-il pas un frein à la montée en puissance de notre industrie ?
Sur le sujet de la simplification, je défends trois grands principes. D’abord, il faut que l’on transpose dans le droit commun ce que l’on a fait avec les lois d’exception pour Notre-Dame, les Jeux olympiques ou Mayotte. Ça a marché, alors généralisons ! Ensuite, je pousse pour un principe de dérogation. L’idée est simple : on identifie des secteurs prioritaires pour la nation – et l’industrie en fait clairement partie – et on leur permet de déroger à certaines règles pour aller plus vite. J’ai également une proposition peut-être un peu plus radicale : mettre en place des « clauses d’extinction ». Concrètement, on dit que certaines normes réglementaires ne sont valables que trois ans. Si l’administration veut les maintenir, elle doit prouver qu’elles sont vraiment efficaces. Ça force à réfléchir ! (…)
Disposons-nous de suffisamment de main-d’œuvre qualifiée, notamment d’ouvriers spécialisés ?
C’est un sujet majeur pour toute l’industrie. Nous avons 70 000 emplois vacants non pourvus dans l’industrie, soit quasiment un quart des postes. Dans le nucléaire par exemple, nous avons des besoins de recrutement à hauteur de 100 000 recrutements dans les dix prochaines années. De manière générale, il y a des compétences clés comme les soudeurs, les agents de maintenance, ceux qui sont en capacité d’opérer sur les machines-outils qui sont extrêmement recherchés. On pourrait penser à renforcer l’apprentissage dans l’industrie. La réforme des lycées professionnels a en outre vocation à rapprocher les formations des besoins industriels.
D’une manière générale, la compétitivité de l’industrie française a pris du retard sur l’Asie ou les États-Unis. Comment réduire l’écart ?
Il existe plusieurs leviers pour changer la donne. Le coût de l’énergie est un sujet crucial. Les écarts de compétitivité, particulièrement dans les secteurs électro-intensifs, sont largement liés aux coûts de l’électricité. Nous suivons attentivement les négociations entre EDF et les industriels pour leur faire bénéficier de l’électricité décarbonée issue de notre parc nucléaire historique. Ensuite, il y a la question du coût du travail. Nous devons réfléchir au financement de la protection sociale, qui pèse beaucoup sur le travail. Le Medef propose de recourir à la TVA, certains économistes suggèrent l’impôt foncier ou la CSG. Il faut que nous ayons ce débat.
Ne faut-il pas encore baisser les impôts de production ?
Il faut réfléchir et se donner les marges de manœuvre pour réengager une baisse de la fiscalité des entreprises au titre des impôts de production. (…)
Comment garantir la sécurité énergétique de la France dans le contexte géopolitique actuel ?
La défossilisation de notre économie est devenue un enjeu de souveraineté. Aujourd’hui encore, 60 % de notre consommation d’énergie est fossile. Notre stratégie repose sur deux piliers : le nucléaire et les énergies renouvelables. Pour l’électricité, nous sommes déjà à 95 % de production décarbonée. L’enjeu maintenant est d’augmenter la part de l’électricité dans les usages, de diversifier nos sources d’approvisionnement pour ce qui restera en énergies fossiles, et de développer la production d’énergies alternatives comme la méthanisation ou les carburants synthétiques.
Le Point, 12 mars
Système social français : à quand la fin de la politique de l’autruche ?
CHRONIQUE. Face à la nécessité de financer l’effort de défense, les responsables français refusent toujours de toucher à notre modèle social. La gauche, par démagogie, et la droite, par peur.
Full text :
Faudra-t-il qu’on entre vraiment en guerre pour que les Français acceptent de voir la réalité en face ? Les milliards consacrés à leur protection sociale, déjà excessifs par temps de pax americana, ne sont plus soutenables lorsqu’il faut assurer notre propre défense sans le soutien des États-Unis. Leur « parapluie » nous a permis pendant des décennies de développer le système le plus généreux au monde. Sur ce point aussi, une « nouvelle ère s’ouvre ». C’est une évidence.
Sauf que personne ne le dit. Emmanuel Macron a pourtant demandé « des réformes, des choix, du courage » et invité les forces politiques et les partenaires sociaux à faire des propositions. Or, ce qu’on entend depuis cet appel est proprement lunaire. Le gouvernement, par crainte de rendre impopulaire l’effort de défense, jure ses grands dieux qu’il n’est pas question de toucher au système français, ce joyau de la couronne hérité quasiment de la Résistance. Et la gauche, toujours autant dans le déni, s’érige en rempart contre toute atteinte à ce totem, aussi intouchable que ruineux.
La foire aux bonnes et mauvaises idées
Après une première sortie sur l’« économie de guerre », Éric Lombard a rétropédalé fissa et François Bayrou a promis de ne pas remettre en cause notre sacro-sainte protection sociale, laissant la ministre du Budget, Amélie de Montchalin, se débrouiller pour expliquer l’inexplicable. Avec un talent particulier pour affirmer que sa méthode de discussion trouverait des solutions à tout, elle a seulement osé glisser qu’avec plus de personnes en emploi, on s’en tirerait mieux.
Les socialistes, fidèles à eux-mêmes, veulent faire payer les riches, sans toucher à un cheveu des autres. Olivier Faure, pourtant favorable à la ligne du chef de l’État, brandit la menace de la censure, affirmant être toujours en faveur de l’abrogation de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, alors qu’elle coûterait des milliards que l’on a moins que jamais. Tout juste suggère-t-il un emprunt européen, comme si la France ne serait pas ensuite concernée par son remboursement. Même la CFDT, parfois plus réaliste, ne voit pas, dit Marylise Léon, « comment on fait sans augmenter les impôts ».
C’est la foire aux idées : on pourrait puiser dans l’épargne des Français (comme si elle n’était pas déjà placée ailleurs) ou la réorienter (mais que deviendraient les secteurs désertés ?), on lèverait un nouvel et coûteux emprunt, façon Balladur (alors qu’on est déjà trop endetté), on saisirait – au mépris de toutes les règles – les 200 milliards d’avoirs russes gelés, on ferait appel au privé (encore un mirage hors de prix !), on n’en finit pas de chercher des excuses pour ne pas aborder le sujet qui crève les yeux : les dépenses sociales doivent être réduites.
Où est le courage des dirigeants ?
Un moyen simple pour éviter de couper les dépenses : augmenter le temps de travail. Même si les Français y sont hostiles, les chiffres sont là : on travaille 100 heures de moins par an en moyenne que nos voisins de l’OCDE. Se crisper aujourd’hui sur le retour aux 62 ans pour les retraites, cela paraît de plus en plus surréaliste. Gilbert Cette, le président du COR (Conseil d’orientation des retraites), vient d’admettre, dans la revue Telos, que dans le contexte actuel, les discussions qui se déroulent au sein du « conclave » sur la réforme Borne, notamment en vue de revenir sur les 64 ans, sont « dérisoires » et qu’il faudrait au contraire « augmenter rapidement cet âge de départ ». Hurlements des syndicats…
La vérité va-t-elle enfin apparaître ? Comme le soleil, elle ne se regarde pas aisément en face. L’opinion n’y semble prête qu’à moitié. D’accord pour un effort de défense, les Français ne veulent rien sacrifier pour eux-mêmes. Encore faudrait-il que leurs dirigeants montrent un peu plus de courage. S’ils ne disent pas eux-mêmes clairement les enjeux, il y a peu de chance pour que les citoyens les perçoivent. Voilà comment les autruches, alors qu’elles devraient se redresser, s’enfouissent la tête dans le sol jusqu’au cou.
Le Figaro, 8 mars
Julien Damon, sociologue: «Il va falloir arbitrer entre le beurre et les armes, entre les canons et les pensions»
ENTRETIEN – Alors que la France consacre une part record de son PIB aux dépenses sociales, pourra-t-elle concilier effort militaire et maintien de son modèle social ?
Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, ancien responsable du département de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et des questions sociales au Centre d’analyse stratégique. Dernier livre paru : Les Batailles de la natalité. Quel “réarmement démographique” ? (Éditions de L’Aube)
Full text : https://kinzler.org/wp-content/uploads/2025/03/8-mars-2.pdf
Contrepoints, 1 mars
La France a près de deux fois plus de fonctionnaires que ses voisins
Full text :
Le 15 novembre 2022 le gouvernement d’Elisabeth Borne annonçait qu’il faisait « le ménage dans la documentation budgétaire » : il supprimait cinq annexes au budget de l’Etat, dont une intitulée « rapport sur l’état de la fonction publique ». La dernière année où cette annexe budgétaire devait être publiée était donc 2021, pour le budget 2022. On la retrouve sur Internet à « Jaune budgétaire 2022 fonction publique ». La figure V 1,1-1 de cette annexe donne les chiffres suivants : nombre de fonctionnaires en 2019 :19,8% de l’emploi total, soit 5,61 Millions ; emplois publics :24,7%, soit 7 M. La différence entre les 5,61 M et les 7 M s’explique par les emplois privés à financement public prépondérant, les emplois aidés et les emplois des entreprises et organismes publics dont les salariés ont un statut proche de celui des fonctionnaires (enseignement supérieur et CNRS, Sécurité Sociale, France Travail, musées publics, etc.). Le nombre de ces quasi-fonctionnaires distingue la France des autres pays européens.
Comparés à nos 24,7% de l’emploi total, qui ont augmenté depuis 2019 -sans que les Français et leurs députés en soient informés- nos voisins affichent (https://fr.statista.com/infographie/30394/pourcentage-de-fonctionnaires-dans-emploi-total-par-pays-en-europe): Espagne :17% de l’emploi total; Italie :14% ; Suisse :11% ; Allemagne :11% ;Belgique :18% ; Pays-Bas :12%. Quand on pondère ces chiffres par la population de chaque pays, on arrive à une moyenne de 13,4 % de l’emploi total, égale à 13,4/24,7 = 54 % du taux français.
Si la France avait le même nombre de fonctionnaires et quasi-fonctionnaires que la moyenne de ses voisins, ses dépenses publiques seraient réduites de 6 % du PIB, soit les 2/3 du surcroit de charges publiques auxquelles sont soumises ses entreprises, par comparaison à leurs concurrentes des pays voisins. Entre autres raisons, ce surcroit explique pourquoi nos industries ont perdu depuis trente ans un tiers de leurs effectifs, il explique notre taux de chômage (le double des meilleurs européens) et la baisse de notre niveau de vie par rapport à de nombreux pays développés.
Les syndicats de fonctionnaires, suivis par la plupart des responsables politiques et des media, affirment qu’il est impossible de baisser nos effectifs de fonctionnaires, puisque « nous manquons de policiers, de magistrats, d’enseignants, etc ».
- C’est parce qu’ils n’ont pas lu les deux rapports que la Cour des Comptes a consacrés à l’organisation du travail et au temps de travail des policiers, qui dénonçaient en vain l’inefficacité des tâches administratives auxquelles ils sont astreints et le régime de récupération des heures travaillées la nuit et le week-end, qui fait travailler nos policiers en moyenne 27 heures par semaine.
- A l’étranger un professeur doit être présent au moins 40 heures par semaine dans son école (43 heures dans les collèges allemands) alors que les professeurs de lycées français ont une obligation de présence de 15 à 18 heures.
Dans de nombreuses autres administrations des baisses d’effectifs seraient possibles.
Des gouvernements de pays développés, à gauche (Justin Trudeau, Romano Prodi, Jean Chrétien) comme à droite (Margaret Thatcher, David Cameron) ont baissé leurs effectifs de fonctionnaires par un moyen simple et efficace : un gel temporaire des recrutements publics (pour la France, 450.000 par an). D’autres gouvernements ont pour la même raison baissé leurs dépenses publiques, à gauche (Gerhard Schroeder, Goran Persson, Wim Kok) comme à droite ( Jose Maria Aznar).
Mais en France la défense des intérêts des fonctionnaires, de leur nombre, de leur temps de travail, de leurs privilèges (retraites notamment) est un sujet sacré. Il faut absolument que les Français ignorent l’une des causes principales du déclin de leur pays.
C’est pourquoi Elisabeth Borne a « fait le ménage » en supprimant, comme nous le disions plus haut, des statistiques trop fâcheuses…
Le Figaro, 22 février
Christelle Morançais et Agnès Verdier-Molinié: «Notre méthode choc pour baisser enfin la dépense publique»
ENTRETIEN – Alors que le gouvernement de François Bayrou n’arrive pas à réduire durablement les dépenses de l’État, Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, et Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, démontrent qu’il est possible de le faire.
Article intégral: https://kinzler.org/wp-content/uploads/2025/02/22-fevrier-3.pdf
IREF, 19 février
Déficit de la Sécurité sociale : une vraie réforme s’impose
Article intégral :
Lundi 17 février, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 a été définitivement adopté par le Sénat. Selon la ministre du Travail et de la Santé, le PLFSS a permis de contenir le déficit entre 22 et 23 milliards d’euros en 2025 au lieu de 30 milliards.
Ce gouffre financier, en progression constante, illustre l’incapacité chronique de l’État à gérer efficacement notre système de protection sociale et à réformer en profondeur. L’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) s’élève à 265,9 milliards d’euros – une hausse de 3,4 % par rapport à 2024 – et comporte 1 milliard d’euros supplémentaires pour les hôpitaux publics qui s’engouffrent dans le déficit. Pour les entreprises, le coût du travail augmente : les exonérations de cotisations sociales seront réduites à 1,6 milliard d’euros pour redresser les comptes de la Sécurité sociale. Quant à l’augmentation de la taxe sur les boissons sucrées, elle témoigne davantage d’un opportunisme fiscal que d’une réelle volonté de responsabiliser les citoyens. En résumé, on continue d’injecter toujours plus d’argent dans un système défaillant, sans jamais questionner son mode de fonctionnement. L’argument de la solidarité est devenu le paravent d’une organisation publique en situation de monopole légal.
Contrairement aux entreprises du secteur privé, la Sécurité sociale ne subit aucune pression concurrentielle et n’est donc pas incitée à optimiser ses coûts. Elle a déjà été épinglée à de multiples reprises par la Cour des comptes, notamment pour des erreurs de règlements de frais de santé, de prestations de retraite, mais aussi pour des fraudes à l’Assurance maladie. C’est pourquoi l’IREF soutient sa privatisation et sa mise en concurrence afin d’encourager une meilleure gestion financière et, plus fondamentalement, d’offrir aux citoyens la liberté de choisir leur assurance auprès de mutuelles ou de compagnies privées à des prix plus compétitifs.
Le Point, 6 février, article payant
Taxer les plus riches : en finir avec ce réflexe pavlovien qui masque les vrais enjeux
CHRONIQUE. Face à la dette, le gouvernement Bayrou envisage de renforcer la taxation des hauts revenus. Une stratégie qui soulève des questions d’efficacité économique et de justice fiscale.
Article intégral :
Dans le volet « recettes » du projet de loi de finances de 2025, le gouvernement Barnier envisageait d’ajuster la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) afin de faire participer les hauts revenus au redressement des finances publiques. François Bayrou reprend cette mesure pour son propre budget, espérant qu’elle rapportera 2 milliards d’euros en 2025.
Actuellement, la CEHR s’ajoute à l’impôt sur le revenu pour les foyers fiscaux dont le revenu fiscal de référence dépasse 250 000 euros pour les célibataires (veuf, séparé ou divorcé) et 500 000 euros pour les personnes mariées ou pacsées. Les taux appliqués sont les suivants :
- Pour une personne seule :
- De 250 001 à 500 000 euros : 3 %
- De 500 001 à 1 000 000 euros : 4 %
- Au-delà de 1 000 000 euros : 4 %
- Pour un couple :
- De 500 001 à 1 000 000 euros : 3 %
- Au-delà de 1 000 000 euros : 4 %
Comme le gouvernement Barnier, l’équipe de Bayrou envisage de majorer cette contribution par une contribution différentielle. Tous les foyers fiscaux qui paient la CEHR, et dont le montant total de l’impôt sur le revenu et la CEHR est inférieur à 20 % de leur revenu fiscal de référence, devrait payer cette nouvelle taxe, la CDHR. Cette dernière serait égale à la différence entre 20 % du revenu fiscal de référence (RFR) du foyer et le cumul de son impôt sur le revenu et de sa CEHR.
Prenons l’exemple d’un célibataire avec un revenu fiscal de référence de 350 000 euros. Si la somme de son IR et de sa CEHR est inférieure à 70 000 euros (soit 20 % de son RFR), il serait redevable de la CDHR.
Si cette proposition venait à être adoptée, elle rappellerait d’abord que la dérive des finances publiques, marquée par les déficits et la dette, se traduit inévitablement par des hausses d’impôts. La dette publique n’est, en réalité, qu’un impôt différé. Elle montrerait ensuite que le gouvernement opte pour une approche de compromis : il ne choisit pas de réduire les déficits uniquement par une baisse des dépenses publiques, mais décide d’augmenter les taux d’imposition sur les hauts revenus. Cependant, si l’on considère qu’un bon impôt repose sur une assiette large et des taux faibles, une telle mesure manque d’efficience. Elle prend le risque d’évasion fiscale (délocalisation de l’assiette), mais aussi d’amplifier les effets d’inactivité. Les contribuables travaillent moins pour passer en dessous des seuils.
Enfin, cette proposition met en lumière un constat : l’idée de taxer les riches pour assainir les finances publiques apparaît comme transpartisane, réunissant gauche et droite. La CEHR a été inventée par un gouvernement de droite. Elle a été votée en 2012 et utilisée sous la présidence Hollande pour contourner la décision du Conseil constitutionnel qui avait invalidé le projet d’une tranche de l’impôt sur le revenu à 75 % sous le motif qu’un tel taux était confiscatoire. D’une taxe exceptionnelle, la CEHR est devenue une mesure pérenne.
Tant que le gouvernement sait qu’il peut augmenter les impôts pour couvrir sa dette sans subir de sanction des urnes parce qu’il peut concentrer l’impôt sur un petit nombre d’électeurs, la dérive des comptes publics continuera. Pour sortir de ce cycle, il faut proposer d’autres solutions.
À long terme, le gouvernement Bayrou pourrait aller vers un régime de TVA à taux unique et à large assiette. À plus court terme, et dans le cadre de sa majorité, il pourrait proposer la création d’un taux d’imposition de l’impôt sur le revenu des personnes physiques de 1 % dès le premier euro gagné. ; il pourrait instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité des agents de la fonction publique de 1 %. Ces pistes ne sont évidemment pas exhaustives, et d’autres solutions pourraient être explorées.
Si on écarte les réformes plus ambitieuses par manque de majorité, la création d’un taux à 1 % permettant d’élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu pourrait être une solution. Un tel taux aurait pour effet d’augmenter le rendement de l’impôt sur le revenu sans augmenter les effets d’inactivité qu’une hausse du taux haut provoquerait. On le sait l’assiette de l’impôt sur le revenu est étroite. Parmi les 43,2 % des foyers fiscaux qui paient effectivement l’impôt, les contribuables appartenant au 10 % des plus hauts revenus contribuent à 72 % des recettes de cet impôt (année 2020).
Outre les gains financiers d’une telle mesure, la création d’un taux à 1 % dès le premier euro gagné éviterait de stigmatiser les hauts revenus, créerait une unité nationale autour de ce problème commun qui est la dette publique et serait le premier pas vers une fiscalité moins destructrice de richesse.
Une autre piste susceptible de rallier la gauche pourrait être la création d’une contribution exceptionnelle de solidarité (CES). Cette contribution, initialement introduite par la gauche dans le cadre du programme commun en 1982, avait un caractère exceptionnel. Elle a perduré jusqu’en 2018 et servait à financer l’aide de l’État aux allocations de solidarité versées aux travailleurs privés d’emploi. Elle était gérée par l’Unedic. Son taux était fixé à 1 % et elle était acquittée par l’ensemble des agents de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics administratifs.
Une telle contribution pourrait être justifiée de la manière suivante : les agents des administrations publiques sont parmi les principaux bénéficiaires de la dette publique. En effet, ils sont payés par l’impôt et/ou par l’épargne collectée via l’émission de titres publics. Comme tous les contribuables, ils bénéficient des services publics, des transferts sociaux mais, en plus, d’un statut qui les protège des risques de licenciement. Pour toutes ces raisons, il semble juste de leur demander une contribution exceptionnelle.
Si on retient le chiffre de 322 milliards d’euros de masse salariale totale pour le secteur public, une contribution exceptionnelle de 1 % pourrait rapporter 3,22 milliards d’euros.
* François Facchini est professeur agrégé des universités, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’économie de la Sorbonne.
Le Figaro, 31 janvier, article payant
L’alerte de Florent Menegaux, PDG de Michelin : «Pour 142 euros versés par une entreprise, le salarié n’en touche que 77,5»
RENCONTRE – Le PDG du groupe Michelin tire la sonnette d’alarme : face à la concurrence asiatique, il est urgent de préserver la compétitivité des entreprises européennes.
Extraits:
D’un naturel sobre et discret, le patron de Michelin est encore méconnu du grand public. Depuis son intervention remarquée devant la commission du Sénat consacrée aux difficultés de l’industrie automobile, le 22 janvier, on ne parle cependant plus que de lui dans les milieux économiques. Auditionné suite à l’annonce fin 2024 de la fermeture des usines Michelin de Vannes et de Cholet, Florent Menegaux n’y est pas allé par quatre chemins pour dénoncer posément, mais avec fermeté, l’enfer fiscal et social dans lequel opèrent les entreprises françaises, alors qu’elles sont confrontées à une compétition féroce sur les marchés mondiaux.
Il n’est pas fréquent de voir le patron d‘un groupe comme Michelin (28 milliards d’euros de chiffres d’affaires, 132.000 salariés dans 26 pays) pointer aussi clairement les maux qui menacent l’industrie européenne et expliquent son décrochage progressif face à ses concurrents. « Le constat de Florent Menegaux est factuel, franc et très juste. Il le dresse de façon limpide, sans détour, exprimant ce que beaucoup de patrons ressentent », analyse Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault et ancien PDG de Michelin jusqu’en mai 2019. (…)
En 27 ans de maison, Menegaux a vécu aux premières loges l’arrivée des pneus asiatiques à bas coûts sur le marché européen. « Leur part est passée de 5% du marché mondial à plus de 20% aujourd’hui, explique-t-il au Figaro Magazine. 200 manufacturiers de pneus ont été créés en Chine au cours des vingt-cinq dernières années, ce qui a fait chuter de 15 points les parts de marché respectives des trois premiers producteurs mondiaux (NDLR : Michelin, le japonais Bridgestone, l’américain Goodyear) et généré une surcapacité mondiale massive. »
Dans un tel contexte, la compétitivité des entreprises est un enjeu décisif. Or, « la compétitivité en France et en Europe s’est fortement dégradée au cours des cinq dernières années, prévient Florent Menegaux. Elle ne permet plus d’exporter depuis l’Europe. En référence à une base 100 en Asie, les coûts de production en Europe se situaient chez Michelin à 134 en 2019, ce qui était encore gérable. Mais aujourd’hui, ils sont passés à 191, alors qu’ils sont toujours à 100 en Asie. En 2024, produire en Europe nous coûte deux fois plus cher qu’en Asie ! », s’inquiète-t-il.
Comment en serait-il autrement alors que le prix de l’électricité, dont l’industrie du pneumatique est fortement consommatrice, se négocie à 108 € le mégawattheure en France contre, par exemple, 97 € en Espagne ou 68 € en Amérique du Nord ? L’inflation, qui s’est reportée sur les salaires, pèse également sur les coûts de production. Mais pour Florent Menegaux, défenseur d’un capitalisme plus juste et à l’origine du concept de « salaire décent » mis en place en 2024 chez le numéro 1 mondial des pneumatiques, ce n’est pas tant le niveau des salaires qui pose problème que l’écart entre le brut et le net. « Pour 100 € brut versés en France, le coût moyen pour l’entreprise est de 142 € ; mais le salarié, lui, va toucher 77,5 €. Les mêmes 100 € versés en Allemagne coûteront 120 € à l’entreprise ; et le salarié touchera 80 €. »
Comme nombre de chefs d’entreprise, le patron de Michelin dénonce le poids des prélèvements obligatoires dont la France est championne, à 45,6 % du PIB. « On peut bien sûr augmenter les taxes sur les industries en France, mais il ne faut pas s’étonner après si les industries vont ailleurs, dans un environnement concurrentiel ouvert, mondial. Michelin ne demande pas des règles du jeu uniformes, mais équitables. Si une équipe de foot à 11 joueurs est confrontée à une équipe qui en compte 22 et qui peut prendre la balle avec la main, ce n’est plus le même jeu. »
Une inquiétude qui sonne comme un avertissement, alors que le gouvernement envisage d’alourdir la fiscalité sur les entreprises. (…)
Le Figaro, 29 janvier, libre accès
«C’est un peu la douche froide» : Bernard Arnault déplore la hausse prévue des impôts sur les entreprises françaises
Lors de la présentation des résultats annuels de LVMH, le milliardaire a vivement critiqué cette «taxe sur le made in France», alors qu’«aux USA, les impôts vont descendre à 15%».
Extraits:
Bernard Arnault, PDG du numéro un mondial du luxe LVMH, a dénoncé mardi l’augmentation prévue des impôts sur les entreprises françaises, estimant qu’il s’agit d’une «taxe sur le made in France» qui «pousse à la délocalisation». «Je reviens des USA et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide» (…)
«Aux USA, les impôts vont descendre à 15%, les ateliers sont subventionnés dans une série d’Etats et le président (Trump) encourage ça», a salué le dirigeant du géant français du luxe lors de la présentation des résultats 2024 de LVMH. «Quand on revient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter de 40% les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c’est incroyable. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal!», a-t-il dénoncé. «C’est la taxation du made in France.» M. Arnault faisait allusion à la surtaxe d’impôt sur les sociétés, prévue, pour les plus grosses, dans le budget actuellement en préparation en France pour l’année 2025. Cette surtaxe devrait rapporter quelque 8 milliards d’euros à l’Etat cette année. (…)
Le gouvernement a cependant indiqué ne vouloir l’appliquer que pour un an. «Personne n’y croit, une fois qu’on a augmenté les impôts de 40%, qui va les baisser de 40%?», a jugé M. Arnault en marge de la conférence de presse. «Nous sommes fortement sollicités par les autorités américaines à continuer nos implantations (d’ateliers)», a-t-il ajouté, et, «dans l’environnement actuel, c’est quelque chose qu’on regarde sérieusement». (…)
Le Figaro, 28 janvier, article payant
«Personne ne sait où on va» : l’alarmante hausse du chômage renforce les craintes pour 2025
DÉCRYPTAGE – Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à France Travail a augmenté de 3,9% au quatrième trimestre 2024. La bonne dynamique d’augmentation des créations d’emplois s’est grippée l’an dernier. La situation pourrait empirer en 2025.
Extraits:
La fin d’un cycle pour Emmanuel Macron et le marché du travail. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’ex-ministre de l’Économie jusqu’à la fin de l’année 2023, le pays a connu une embellie généralisée sur le front de l’emploi. Depuis 12 mois, en revanche, l’économie française est entrée en phase de turbulence. Un trou d’air qui a ranimé la crainte d’un retour en force du chômage dans un avenir proche. Fonderie de Bretagne, Vancorex… Plusieurs annonces de fermetures d’usines ces derniers mois ont donné l’impression d’un retournement violent de conjoncture.
« Cela n’est que le début, si on ne fait rien, d’une nouvelle saignée industrielle », a prophétisé Sophie Binet, à la tête de la CGT. Le nombre de demandeurs d’emploi au quatrième trimestre, publié ce lundi, va dans ce sens : il a progressé de 3,9% sur trois mois et de 3,5% sur l’année (France entière), pour atteindre 3,138 millions. Hors sursaut pendant le Covid, cela fait plus de dix ans que la progression n’avait pas été aussi forte sur la catégorie sans activité (la catégorie A). Si on y ajoute les demandeurs d’emploi à temps partiel (catégories A, B et C), la hausse sur un an est néanmoins contenue à 1,8%.
« On ne s’attendait pas à ce que ça soit bon, mais là, c’est très mauvais. 2024 sonne comme l’année où le marché de l’emploi a calé », relève Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision l’OFCE. (…)
« Il n’y a pas de raison de tenir un discours alarmiste », note Alexandra Roulet, professeur d’économie à l’Insead, pour qui « on ne peut pas dire que le marché du travail ait déraillé en 2024 ». Pour preuve, le taux de chômage a certes cessé de baisser mais n’est pas reparti à la hausse. (…)

Mais le temps du « quoi qu’il en coûte » est révolu. Le nombre de défaillances s’est envolé de 16,8% en 2024, selon la Banque de France : 65.764 entreprises ont ainsi disparu sur les douze derniers mois. (…)
Pour ne rien arranger, l’économie française a fait face à une série de phénomènes déstabilisateurs. Hier porteur, le climat géopolitique s’est dégradé. L’Allemagne, le principal client de la France, a fini 2024 comme 2023, en récession. Outre-Atlantique, la santé insolente des États-Unis est devenue un aspirateur à investissements, ne laissant que des miettes à l’Europe. « Il y avait 220 milliards d’euros fin 2023 investis par les Français dans des bons du Trésor américain, c’était 330 milliards fin 2024, s’est ému récemment Patrick Martin, le président du Medef. Il faut enrayer ça (…) en renforçant la puissance économique de la France. »
Mais le plus néfaste pour l’économie reste la dissolution de l’Assemblée nationale décidée à l’été pour « clarifier les débats », selon les mots du président de la République. Celle-ci a ouvert une période d’incertitude – honnie par les chefs d’entreprise – qui dure depuis. Mécaniquement, les projets d’investissements et d’embauches ont été mis en pause. (…)
Si 2024 est l’année du ralentissement, 2025 pourrait bien être celle des complications. La généreuse politique de soutien à l’emploi d’Emmanuel Macron n’a en effet jamais été accompagnée de mesures d’économies équivalentes. Résultat, le déficit public n’a cessé de se creuser, pour atteindre 6,1 % en 2024. Devenu le mouton noir de l’Europe, Paris se doit de serrer la vis. Hausse du coût du travail, baisse des aides à l’apprentissage… C’en est fini de la politique de l’offre telle que voulue par Emmanuel Macron. (…)
https://www.lefigaro.fr/social/pourquoi-le-marche-du-travail-a-cale-en-2024-20250127
Le Figaro, 23 janvier, article payant
Les retraités français sont-ils particulièrement taxés et peuvent-ils l’être davantage ?
DÉCRYPTAGE – Alors que les retraités font déjà l’objet d’une fiscalité particulière, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a avancé ce mardi l’idée de taxer davantage les plus aisés d’entre eux.
Extraits:
(…) Pour les retraités, l’impôt sur le revenu est ainsi calculé «par tranches, en fonction du montant des revenus de 2023 sur 2024», sur le même barème que celui appliqué à tous les Français. Chaque tranche correspond à un taux d’imposition (compris entre 0 à 45%). Et s’il est important de noter que les indemnités de fin de carrière (IFC) sont intégrées dans l’assiette d’imposition, il existe en revanche des exonérations. Certaines prestations sociales sont en effet exonérées de l’impôt sur le revenu. Parmi elles se trouvent l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’Allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), les pensions de retraite du combattant et des anciens combattants, ainsi que les pensions militaires d’invalidité.
Les retraités doivent également s’acquitter de différentes contributions sociales. En premier lieu, la Contribution sociale généralisée (CSG) directement ponctionnée sur les pensions de retraite. Son taux diffère selon le revenu fiscal de référence et la composition du foyer fiscal, allant de 8,3% pour le taux normal – avec deux taux réduits pour les faibles pensions -, contre 9,2% pour les salaires et les revenus du patrimoine.
En outre, les pensions de retraite sont assujetties à la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) au taux unique de 0,5% pour toutes les personnes redevables de la CSG au taux réduit, médian ou normal. Seuls échappent à la CRDS les contribuables exonérés de CSG. Les retraités qui paient la CSG au taux médian ou normal doivent aussi s’acquitter de la Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa) au taux de 0,3% sur leur pension. En sont exonérés les retraités déjà exonérés de CSG ou soumis au taux réduit.
Si l’on compare la fiscalité de nos aînés avec celle de la population active, «les retraités français paient moins d’impôts que les actifs français, les chômeurs compris», explique Bruno Palier. Le chercheur du CNRS, professeur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Science Po prend en effet l’exemple des chômeurs, qui «paient plus de CSG que les retraités». De même, les retraités français ne paient «pas de cotisations sociales sur leurs pensions elles-mêmes issues des cotisations sociales», rappelle l’expert. Ce qui est pourtant le cas en Suède, souvent cité en exemple sur la question du financement du système des retraites. Dans ce pays, les retraités «paient des impôts sur l’ensemble de leurs revenus», souligne-t-il. (…)
Le Figaro, 22 janvier, article payant
Alain Minc : «Face au carnivore Trump, les Français restent les seuls Bisounours d’Europe»
TRIBUNE – En réalité, ce ne sont pas les «carnivores» américains qui menacent la France, mais ses partenaires européens, qui finiront par dévorer notre pays de Bisounours, alerte l’ancien conseiller politique et essayiste.
Dernier livre paru : « Somme toute » (Grasset, 2024).
Lire article intégral : https://kinzler.org/wp-content/uploads/2025/01/22-janvier-1.pdf
L’Express, 21 janvier, article payant
“La France a perdu tant d’occasions de se réformer” : quand le Medef suédois livre ses conseils
Economie. Rétablissement des finances publiques, refonte du système de retraite, réforme de l’Etat… La Suède est aussi passée par là. Une source d’inspiration pour la France ? L’analyse d’Anna Stellinger, la n° 2 du patronat suédois.
Extraits:
L’instabilité politique mine la croissance, le rétablissement des finances publiques est de plus en plus hypothétique et le fameux “spread”, l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne, ne cesse de s’élargir, signe d’une inquiétude croissante des investisseurs sur la situation hexagonale. Comment sortir de l’impasse? En Europe, un pays au bord du précipice en 1992 a réussi, la Suède, qui affiche aujourd’hui des comptes publics au carré, une croissance solide et un taux de chômage bas. La méthode? Un cocktail de mesures radicales prises grâce à un consensus politique, obtenu après des mois de discussions. Anna Stellinger, directrice des affaires européennes et internationales du patronat suédois, livre les secrets de la méthode. Reste à savoir si la France est suffisamment mûre politiquement pour entamer une telle révolution…
L’Express : La France est confrontée à un sérieux problème de finances publiques. La Suède est passée par là aussi, en 1992, ce qui a débouché sur une crise financière gravissime. Faut-il être au fond du gouffre pour rebondir?
Anna Stellinger :Plusieurs ingrédients expliquent la remise à plat du système suédois à cette époque. Le premier est, comme vous le rappelez, la gravité de la crise financière qui a frappé le pays au début des années 1990. Au pire moment des attaques spéculatives contre la Suède et sa monnaie, les taux d’intérêt sont montés à 500 %! Cela veut dire que tout le monde était touché. Cette crise n’était pas seulement intellectuelle et hypothétique, elle était visible par tous les Suédois dans leur quotidien, quand ils allaient à la banque pour négocier un crédit immobilier ou acheter une voiture. Résultat : lorsque les politiques ont commencé à pointer les racines du mal, et à dire pourquoi il fallait changer les choses, ils n’ont pas eu à convaincre très longtemps puisque tout le monde subissait au plus près cette crise. Le deuxième élément déterminant a été le consensus politique et la volonté de faire des réformes dans la durée. Aujourd’hui, plus de trente ans après cette crise profonde, la dette publique atteint tout juste 32 % du PIB du pays.
Justement, par où a-t-il fallu commencer?
Par le volet politique : l’obtention d’un consensus total avec toutes les forces politiques sur la nécessité de changer de modèle. Deuxième étape : se mettre d’accord sur le “quoi faire”. Et le “quoi faire” n’a pas été un maquillage budgétaire pour récolter quelques milliards ici ou là. Nous sommes allés au fond des choses avec une décision majeure qui est l’adoption d’une discipline budgétaire. Désormais, nous sommes obligés d’avoir un budget en équilibre et on ne peut proposer des dépenses nouvelles sans trouver les recettes qui permettent de les financer. Aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur, n’a depuis des décennies le droit de creuser un déficit ni d’alourdir la dette. Cette règle d’or apporte de la sécurité. Car lorsque le pays traverse un choc conjoncturel, comme au moment du Covid, il a les moyens de soutenir l’économie et les plus fragiles. Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons aussi basculé le système de retraite d’un régime par répartition vers un système par capitalisation. Chacun est désormais responsable de sa propre retraite et cotise pour sa propre pension. Enfin, nous avons fait le tri dans les dépenses publiques. Chaque ligne a été étudiée. Ce nettoyage a été effectué de manière sérieuse et presque toujours consensuelle. Avec, à chaque fois, l’objectif de changer les choses de manière robuste.
En France, ce travail sur la dépense publique fait craindre à une partie de l’opinion publique un détricotage, un démantèlement de l’Etat providence…
Je peux le comprendre mais la manière dont la Suède a géré cette transformation profonde et durable a été faite dans le respect de ce cadre-là. Peu de gens disent aujourd’hui que la Suède n’est pas un Etat providence. Nous voulons être un pays attractif mais avec une économie saine.
Quelle a été l’ampleur des sacrifices? Et surtout, ont-ils été justement répartis?
Tout le monde a dû se serrer la ceinture. Les entreprises, les ménages, les salariés, les retraités…
Vous ne parlez pas de réforme de l’Etat. Mais là aussi, le modèle suédois est très différent de celui de la France…
En France, je lis souvent qu’on parle d’un Etat obèse. En Suède, l’ambition a été de l’alléger. Le gouvernement est tout petit. Si je cumule les postes de tous les ministères, nous devons arriver à moins de 5 000 fonctionnaires! Le reste des agents de l’Etat travaille dans des agences gouvernementales, qui par ailleurs sont jugées parfois trop nombreuses et coûteuses par certains partis politiques. J’en ai dirigé deux personnellement. Ces agences sont dotées d’un budget alloué chaque année par le gouvernement central. Impossible d’afficher des comptes déséquilibrés. Leurs comptes sont audités chaque année et si un surplus budgétaire apparaît, une agence ne peut pas garder plus de 3 % de cet excédent dans ses caisses. Par ailleurs, le gouvernement fixe dans une lettre de mission les objectifs, mais laisse une totale indépendance sur les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Les directeurs d’agence sont autonomes. Ce qui compte, c’est le résultat. Cette autonomie permet de dépolitiser l’action publique. Enfin, les agents sont des salariés – il n’y a pas de contrat à vie en Suède – et leur rémunération est liée à leurs performances.
Comment expliquez-vous l’impossibilité de réformer la France?
Les raisons sont multiples. La première, et peut-être la plus importante, c’est qu’en France, la dette n’est pas suffisamment prise au sérieux. L’endettement public a crû depuis des décennies et le sujet s’est presque banalisé dans l’opinion publique. C’est comme si les Français, dans leur grande majorité, pensaient que “parce que c’est la France”, une crise de la dette ne les rattrapera jamais.
La deuxième explication est presque culturelle. C’est l’incapacité à obtenir un consensus politique, même si la confrontation politique n’est pas une mauvaise chose en soi, et parfois en Suède, nous n’avons pas suffisamment de débats majeurs. Troisième point, l’absence de syndicats forts et une culture assez faible du dialogue social. (…)
Cette qualité du dialogue social joue beaucoup sur les négociations salariales. Lorsque les salaires sont négociés chaque année, le référentiel est celui de l’industrie exportatrice. C’est ce que nous appelons “la marque”. Le but est de conserver la compétitivité du pays, et les organisations syndicales et patronales adhèrent, avec quelques exceptions, à cette norme. (…)
Quatrième et dernière explication, la France n’a pas la culture de la “flexisécurité” de l’emploi, même si je n’aime pas trop ce terme. En clair, ce qui compte en Suède, ce sont les individus, pas les emplois. Quand il a fallu fermer les mines il y a quelques décennies, nous l’avons fait sans drame car la priorité de tous les acteurs était de s’occuper de ceux qui perdaient leur job. Quand une entreprise disparaît, pour manque de compétitivité, nous n’essayons pas coûte que coûte de la maintenir en vie. Ce sont quatre ingrédients essentiels à la réforme qui manquent, hélas, à la France.
Votre constat est très pessimiste…
Oui et non. La France a perdu tant d’occasions de réformes au cours des années passées… Or le pays a de formidables atouts. Il sait se mobiliser pour de très grandes choses. La France reste la nation la plus attractive d’Europe en matière d’investissements étrangers. S’ajoute l’excellence de la recherche, dans l’intelligence artificielle notamment… La France a tellement de cartes en main! Cela fait si longtemps que le pays n’a pas mené de réformes que vous avez peut-être oublié comment les mettre en oeuvre. (…)
Le Point, 18 janvier, article payant
Denis Olivennes : « En France, le travail n’est pas rémunérateur »
ENTRETIEN. Dans « La France doit travailler plus », le chef d’entreprise exhorte à mieux récompenser le travail, qui, aujourd’hui, « ne paye pas assez ».
Voir « Article du Jour »: https://kinzler.org/wp-content/uploads/2025/01/18-janvier-3.pdf Link : https://www.lepoint.fr/debats/denis-olivennes-en-france-le-travail-n-est-pas-remunerateur-17-01-2025-2580227_2.php
Le Figaro, 15 janvier, article payant
Bertille Bayart: «Le monde de 2025 n’est pas fait pour la France (à moins que ce ne soit l’inverse)»
CHRONIQUE – La hausse des taux longs, l’appréciation du dollar et la guerre commerciale vont faire souffrir la France surendettée, importatrice et dépendante.
Extraits :
Il faudrait ne jamais partir. Car, quand on revient, comme cet industriel tout juste rentré du salon de la tech à Las Vegas, le choc est trop violent. Vertige devant un fossé qui est devenu un gouffre. « Le décalage est immense », dit-il, entre les enjeux mondiaux du moment et les sujets du débat public en France, entre le déluge d’investissements notamment consacrés à l’intelligence artificielle là-bas et nos calculs d’épiciers ici.
Pendant que nous ergotons sur les mérites comparés d’une « suspension » ou d’une « remise en chantier » de la réforme des retraites, aveugles au fait que nous serions le seul pays développé à engager une contre-réforme dans ce domaine, le monde autour de nous change, vite. Dans plusieurs domaines, il bascule, même. Et ce monde de 2025 n’est pas fait pour la France.
C’est un monde qui n’est plus du tout fait pour un pays surendetté. Déjà, la France a « monumentalement changé de catégorie » en tant qu’emprunteur, selon l’expression d’un ponte des questions monétaires. Cela se traduit par un écart de taux avec l’Allemagne, installé entre 80 et 90 points de base. En 2025, il y a pire. Deux phénomènes concomitants sont à l’œuvre. D’une part, 2025 marque la fin officielle d’une décennie d’argent magique. Depuis la fin de l’année dernière, la Banque centrale européenne n’achète plus de titres de dette souveraine. Son bilan va désormais se contracter sur un rythme de croisière de 40 milliards d’euros par mois. Un acheteur majeur et fidèle quitte ainsi la table du marché obligataire au moment même où la France devient, devant l’Italie, le premier émetteur de dette souveraine en zone euro (plus de 300 milliards d’euros). D’autre part, l’installation de Donald Trump augure d’une politique économique agressive, potentiellement inflationniste.
Cette conjonction se traduit par une réappréciation brutale et générale des taux d’intérêt à long terme, calquée sur le mouvement du marché américain. C’est à la fois sain – le temps et le risque ont de nouveau un prix – et dangereux. Ça l’est en tout cas pour la France. Le taux d’emprunt à dix ans approche les 3,5 % contre moins de 2,9 % en décembre. Or l’inflation est retombée – la prévision est à 1,6 % pour 2025 – et la croissance sera, probablement au mieux du fait de la crise politique, de 0,9 % (dernier chiffre de la Banque de France). Cela signifie que nous sommes passés en ce début d’année de l’autre côté du miroir, là où « r » est supérieur à « g » : les taux d’intérêt réels (« r » pour « rates ») sont désormais supérieurs à la croissance (« g » pour « growth »). Dans cette zone-là, les taux sont prédateurs. Nous sommes mécaniquement condamnés à voir la dette gonfler, encore et encore.
Le monde de 2025, c’est aussi un monde où il ne faut pas être importateur et dépendant. La France l’est, massivement, comme l’illustre le niveau du déficit commercial (84 milliards d’euros sur douze mois à fin novembre). Or, la facture va s’alourdir sous l’effet d’appréciation forte du dollar face à l’euro (de 1,12 dollar pour 1 euro cet été à 1,02 aujourd’hui), et probablement aussi du fait de la hausse des cours du pétrole et du gaz. Les efforts pour desserrer cet étau, par la réindustrialisation, vont être sapés par une double pression. Celle de la guerre commerciale qu’entend lancer à une échelle inédite Donald Trump dès la semaine prochaine. Et celle des surcapacités de production chinoises, qui chercheront cette année les débouchés en Europe qu’ils ne trouveront plus ni aux États-Unis ni sur leur marché domestique du fait du ralentissement de la croissance.
Le monde de 2025, c’est celui d’une compétition économique exacerbée. Il n’est pas fait pour les percepteurs. Les États-Unis s’apprêtent à engager une nouvelle étape de baisse des impôts, avec un président républicain qui entend ramener à 15 % l’impôt sur les sociétés. En Allemagne, la CDU de Friedrich Merz, favorite pour mener la coalition qui sortira des élections le mois prochain, vise un taux de 10 %. La France, contrainte à surtaxer les bénéfices de ses grandes entreprises pour cause de marasme budgétaire, va nager à contre-courant.
Le monde de 2025 sera encore plus rude que celui de 2024. Il n’est pas fait pour les fragiles. Avec Donald Trump à la Maison-Blanche, l’époque est aux hommes puissants et aux rapports de force. Or, le pouvoir en France est plus faible que jamais, dans le pays, au sein de l’Union européenne et sur la scène internationale.
Peut-être est-ce parce que ce monde de 2025 est si hostile que la France se met en marge. On rouvre, encore et encore mais sans imagination, les mêmes vieux débats sans lesquels il semble qu’il ne saurait y avoir de vie politique digne de ce nom dans notre pays : taxation des riches et des entreprises, et système de retraite. Arguments rebattus, conversation étriquée, impasse assurée puisque les lois de la gravité financière et de la réalité démographique sont pareillement ignorées. Le monde, en 2025, avance. Nous, on s’occupe. C’est une autre façon de faire l’autruche.
Le Figaro, 13 janvier, article payant
Jean-Pierre Robin: «Rigueur oblige, l’État n’est plus en mesure de protéger les Français des multiples crises»
CHRONIQUE – La France a l’un des taux de croissance les plus faibles en Europe depuis la création de l’euro en 1999 et la plus forte augmentation de sa dette publique.
Extraits :
(…) Ainsi l’objectif de déficit des finances publiques, qui aura atteint 6,1% du PIB l’an dernier, sera « moins de 5,5% et plus de 5% (du PIB) », [indique Éric Lombard, le ministre de l’Économie et des Finances]. « Afin de préserver la croissance (économique) », a précisé notre grand argentier, au nom prédestiné, pour justifier ce relâchement par rapport au gouvernement Barnier, dont l’ambition était de ramener le déficit à 5 % du PIB. Le chiffre retenu par Bercy devrait finalement être de 5,4%, une différence de 12 milliards d’euros par rapport au scénario Barnier, ce qui n’est pas rien.
Ainsi l’objectif de déficit des finances publiques, qui aura atteint 6,1% du PIB l’an dernier, sera « moins de 5,5% et plus de 5% (du PIB) », a-t-il indiqué. « Afin de préserver la croissance (économique) », a précisé notre grand argentier, au nom prédestiné, pour justifier ce relâchement par rapport au gouvernement Barnier, dont l’ambition était de ramener le déficit à 5 % du PIB. Le chiffre retenu par Bercy devrait finalement être de 5,4%, une différence de 12 milliards d’euros par rapport au scénario Barnier, ce qui n’est pas rien.
Ces comptes d’apothicaire paraîtront d’autant plus dérisoires qu’ils sont entachés d’énormes incertitudes. Ils résultent en outre d’arbitrages peu glorieux visant à obtenir un minimum de stabilité politique, fût-ce au détriment de l’assainissement des comptes. (…)
Perclus de dettes et astreint à la rigueur que lui demandent ses créanciers ainsi que les règles de copropriété de la zone euro, l’État n’est plus en mesure d’assumer son rôle de régulateur de la conjoncture qu’il conviendrait de conforter en temps de vaches maigres. C’est là, faut-il le rappeler, l’une des trois fonctions des politiques publiques assignées par l’économiste américain Richard Musgrave, le premier à les avoir théorisées au début des années 1960. Les deux autres fonctions consistent en la fourniture de services publics et la lutte contre les inégalités par la fiscalité. (…)
Nous vivons une rupture historique. Traditionnellement, les gouvernements laissaient dériver les dépenses publiques en période de ralentissement économique et ils acceptaient le reflux inhérent des recettes fiscales, au prix d’une envolée des déficits. Ce jeu des « stabilisateurs automatiques », selon le terme technique, a toujours été plus marqué en France qu’ailleurs du fait même de dépenses publiques records dépassant 55% du PIB. « Ce qui explique pourquoi les récessions sont moins prononcées que dans le reste de l’Europe et pourquoi les reprises y sont plus lentes », note François Ecalle sur son site Fipeco. Avec pour conséquence aussi que depuis la création de l’euro, en 1999, la France a l’un des taux de croissance les plus faibles en Europe et la plus forte augmentation de sa dette publique. Et c’est devenu intenable.
Les Français découvrent avec effroi que la puissance publique est incapable de les protéger des crises. Loin d’être « un réducteur d’incertitudes », selon la définition du philosophe anglais Thomas Hobbes, l’État les aggrave.
Le Point, 9 janvier, libre accès
Taux d’emploi : la France reste à la traîne
LE CHIFFRE DE LA SEMAINE. Le taux d’emploi des séniors, âgés de 55 à 64 ans, atteint 78 % en Suède, contre seulement 58,4 % dans l’Hexagone.
Extraits:
Selon l’Insee, le taux d’emploi, qui mesure le rapport entre le nombre d’individus ayant un emploi et le nombre total d’individus, s’est élevé en France à 68,4 % chez les 15-64 ans en 2023, en progression de 0,2 point par rapport à 2022 et à son plus haut niveau depuis 1975. Malgré cette hausse, le taux d’emploi reste en France inférieur à la moyenne de 70,4 % observée dans l’Union européenne (UE), où il varie de 61,5 % en Italie à 82,4 % aux Pays-Bas.
Dans l’ensemble de l’UE, le taux d’emploi des hommes (75,1 %) était en 2023 supérieur de 9,4 points à celui des femmes (65,7 %), soit un écart supérieur à celui de 5 points constaté en France (66 % pour les femmes, 71 % pour les hommes). De son côté, le taux d’emploi des jeunes âgés de 15 à 24 ans a progressé de 0,4 point dans l’UE en 2023 pour s’établir en moyenne à 35,2 %, avec de fortes disparités entre les pays.
Le taux d’emploi des jeunes est inférieur à 20 % en Grèce, en Roumanie et en Bulgarie, alors qu’il dépasse 50 % en Allemagne, en Autriche, au Danemark et même 75 % aux Pays-Bas. « Les écarts entre pays reflètent des différences de durée de scolarité, de cumul emploi-études (dont l’apprentissage), mais aussi des difficultés d’insertion des jeunes plus ou moins marquées sur le marché du travail », commente l’Insee. En France, le taux d’emploi des jeunes (35,2 %) a sensiblement augmenté ces dernières années et se situe désormais au même niveau que la moyenne européenne.
Enfin, le taux d’emploi des séniors âgés de 55 à 64 ans s’est établi en moyenne à 63,9 % dans l’Union européenne en 2023, en hausse de 20,7 points depuis 2009 (de 18,2 points en France). Les niveaux les plus élevés sont observés en Suède (78 %), aux Pays-Bas (75 %), en Allemagne (74,6 %) et au Danemark (74,2 %) et les plus faibles, en Roumanie (51 %) et en Grèce (54,1 %). La France se situe en dessous de la moyenne européenne, avec un taux d’emploi des séniors de 58,4 % en 2023.
https://www.lepoint.fr/economie/taux-d-emploi-la-france-reste-a-la-traine-08-01-2025-2579509_28.php
Le Monde, 24 décembre, article payant
Eric Lombard, un banquier « de gauche » à l’économie
Nommé à Bercy, l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations croit dans son profil et sa méthode pour faire adopter un budget 2025 combinant baisse du déficit et soutien à la croissance.
Extraits:
(…) Le visage de cet homme discret de 66 ans, diplômé d’HEC, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans la finance, va pourtant rapidement s’imposer aux Français. Numéro six dans l’ordre hiérarchique du gouvernement, M. Lombard hérite du dossier le plus explosif : le budget. Celui qui a fait tomber l’ancien premier ministre Michel Barnier, le 4 décembre, après le vote d’une motion de censure et qui déterminera la durée de vie du gouvernement Bayrou.
Si son seul mandat électoral se résume à un siège de conseiller municipal à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), entre 1995 et 2001, M. Lombard est un fin connaisseur des circuits ministériels et l’ancien banquier cachait de moins en moins son envie de s’engager. (…)
Son parcours atypique, Eric Lombard l’a raconté dans un livre, Au cœur de la finance utile, à quoi sert votre épargne, paru en février 2022 (L’Observatoire), une profession de foi visant, aux yeux des observateurs, à préparer une future ascension ministérielle. (…)
Même s’il est l’héritier d’une famille de riches industriels, M. Lombard ne se définit pas comme « libéral ». Il a bien fait l’essentiel de sa carrière dans le saint des saints du capitalisme, la finance – banquier d’affaires chez Paribas à sa sortie de Bercy, puis patron de BNP Paribas Assurances, avant de partir, en 2013, pour diriger Generali France – mais il dit prôner un « capitalisme plus responsable ». « J’ai aujourd’hui la conviction que le capitalisme est déréglé, parce que le taux de rendement demandé par les actionnaires est trop élevé », disait-il au Monde, en février 2022. (…)
Le Figaro, 24 décembre, article payant
Gouvernement Bayrou : Éric Lombard, un financier de la gauche réformiste à Bercy
PORTRAIT – Le directeur général de la Caisse des dépôts devient le ministre de l’Économie et des Finances.
Extraits:
Il passe d’une institution publique réputée riche à la gestion des finances d’un État impécunieux. Son nom est peu connu du grand public, et pourtant, cela fait sept ans qu’Éric Lombard occupe l’un des postes les plus importants de la République : celui de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), que l’on qualifie souvent de bras armé financier de l’État. L’été dernier, déjà, son profil en avait fait l’un des premiers ministrables souvent cités dans la catégorie « technos », avant qu’Emmanuel Macron ne choisisse Michel Barnier.
Éric Lombard, 66 ans, est un animal hybride. Un HEC qui a obtenu un poste, à la Caisse des dépôts, traditionnellement dévolu aux inspecteurs des finances. Pour le décrocher, il avait écrit une longue lettre manuscrite de candidature au président de la République. Il est aussi un héritier d’une histoire entrepreneuriale, celle des Devanlay (Lacoste), dont le cœur a toujours battu à gauche. Le nouveau locataire de Bercy est de la famille des rocardiens.
Il a fréquenté les think-tanks de cette deuxième gauche sociale-démocrate, d’abord En Temps Réel, où il a rencontré Emmanuel Macron, puis les Gracques. Éric Lombard a beaucoup travaillé dans le privé, dans le secteur de la banque et de l’assurance, chez BNP Paribas Cardif France, puis chez Generali. (…)
La direction de la Caisse des dépôts prépare sans aucun doute à entrer au gouvernement. (…)
Ami de François Baroin, Éric Lombard défend une vision sociale-démocrate de l’économie, appelant à la tempérance du capitalisme et à une « finance utile », selon le titre d’un livre publié en 2022. « L’économie mixte est loin d’être un concept dépassé », déclarait-il dans Le Figaro en juillet 2021. (…)
Le Figaro, 23 décembre, article payant
Les Français ne travaillent pas assez pour financer leur modèle social
Retraite, maladie… le système de protection dont bénéfice le pays est plébiscité mais largement déficitaire. S’ils veulent le préserver, les Français vont être contraints de travailler davantage.
Extraits:
Les Français travaillent-ils assez ? Le débat anime depuis toujours les discussions entre gauche et droite, entre représentants des salariés et des chefs d’entreprise et entre les Français eux-mêmes. Ce jeudi 19 décembre, une nouvelle étude de l’institut Rexecode vient mettre de l’eau au moulin des partisans d’un allongement du temps de labeur. Le constat est sans appel : Paris reste sous la moyenne européenne en la matière. La situation est particulièrement criante pour les salariés français à temps complet.
Ces derniers ont passé en moyenne 1673 heures en poste en 2023. Soit 120 heures de moins que leurs voisins européens. Si l’écart a tendance à se résorber, il reste aujourd’hui d’environ trois semaines de travail avec l’Allemagne (1 790 heures), qui est à la moyenne européenne. Seules la Suède et la Finlande affichent des chiffres plus bas. Sauf qu’à la différence de l’Hexagone, ces pays profitent d’un taux d’emploi particulièrement élevé – 74 % en Finlande et 77,5 % en Suède, contre 68,4 % en France.
De la à en déduire que les Français ne travaillent pas assez… Mais les choses sont évidemment plus complexes. « La question du temps de travail est en réalité celle de la création de richesse dans le pays », éclaire Olivier Redoulès, directeur des études de Rexecode. C’est elle qui se traduit en pouvoir d’achat pour les actifs et les entreprises, mais également en recettes fiscales et sociales pour financer le train de vie de l’État et le généreux modèle social dont bénéfice le pays.

Or, celui-ci craque de toutes parts. Malgré la réforme des retraites, le régime est annoncé dans le rouge de 5,8 milliards d’euros cette année, selon les dernières prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR). Sauf nouveau tour de vis, la situation ne peut que s’aggraver dans le futur. La Sécurité sociale ne va pas mieux. Le déficit prévu en 2024 s’élève à 18 milliards d’euros. Et là non plus, les prévisions ne vont pas vers un équilibre du régime.
Face à l’urgence, certains politiques se sont finalement emparés du sujet. « La quantité d’heures travaillées dans le pays ne suffit plus aujourd’hui à financer notre modèle social, a déclaré le ministre démissionnaire de l’Économie, Antoine Armand, le mois dernier. Si on veut le conserver, il faudra travailler davantage. » (…)
La France peut espérer davantage de gains en augmentant le nombre de personne entre 15 et 64 ans en emploi. Pour les plus jeunes, une partie du chemin a été réalisée avec le développement de l’apprentissage. Mais pour égaler les meilleurs élèves de l’UE, il faut dorénavant résorber le nombre ceux qui ne sont ni en emploi ni en formation (les Neets). « La France en compte environ 250.000 de plus qu’un pays comme l’Allemagne, pointe le directeur des études de Rexecode, et si nous ne les intégrons pas aujourd’hui, nous laissons s’installer toute une carrière de précarité. »
De l’autre côté du spectre, la réforme des retraites doit permettre de combler une large partie du retard en matière d’emploi des seniors. La part des 60-64 ans en poste a ainsi grimpé de près de 8 points entre 2017 et 2023 – de 31,1 % à 38,9 %. Avec le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, l’exécutif espère arriver à 60 % dès 2030. (…)
Pour espérer continuer dans cette voie, le dernier levier à actionner est celui du temps partiel choisi. Celui-ci est largement sous-développé en France : « Il représente 8 % de la population en âge de travailler (…) contre 21 % en Allemagne et 31 % aux Pays-Bas », illustre l’étude. Or de nombreux actifs ne peuvent exercer une activité à temps plein (usure physique, proche aidant, enfants à charge…). Sans alternative, ils sont aujourd’hui contraints d’arrêter totalement leur activité plutôt que d’alléger la charge de travail.
Tous ces leviers montrent le chemin que Paris doit encore parcourir pour égaler la quantité de travail de ses voisins. Une chance, selon Olivier Redoulès, « cela montre qu’il y a encore de l’argent à dégager pour financer notre modèle social. Sans cela, il faudrait faire une croix dessus. »
Le Figaro, 22 décembre, article payant
L’éditorial de Gaëtan de Capèle: «Explosion de la dette française, une faute morale»
Face à 80% de députés enclins à dépenser plus, on voit mal comment François Bayrou va s’y prendre pour élaborer un budget crédible.
Extraits:
L’idée que, par irresponsabilité, par couardise, par égoïsme, nous soyons en train de fabriquer une bombe financière à retardement ferait-elle enfin son chemin ? À en croire les récents sondages, l’explosion de la dette entre désormais dans les préoccupations premières des Français. Cet accès de lucidité n’a, hélas, pas encore atteint l’Assemblée, où l’on trace des « lignes rouges » absurdes en se moquant comme d’une guigne de la marée qui menace de tout engloutir.
Cette désinvolture ne laisse pas d’étonner, tant les chiffres donnent le vertige : l’an prochain, la France, déjà endettée jusqu’au cou (3300 milliards au dernier pointage !), empruntera encore 300 milliards sur les marchés. Non pour préparer l’avenir en investissant, mais pour boucler ses fins de mois, payer des pensions… et rembourser ses dettes. Pendant que dans les hautes sphères on regarde ailleurs, les signaux d’alarme se multiplient. Les agences de notation s’inquiètent de la chienlit qui paralyse le pays, privé de gouvernement et de budget. Les grands créanciers internationaux, guère plus rassurés, nous font payer plus cher nos emprunts.
On ne peut soupçonner François Bayrou d’ignorer la gravité de la situation. Il fait partie des quelques rares responsables politiques à sonner régulièrement l’alerte sur la montagne de dette accumulée, une « faute morale » à l’égard des futures générations. Mais, face à 80 % de députés enclins à dépenser plus, qui ont déjà œuvré pour détricoter les quelques mesures d’économies annoncées par son prédécesseur, on voit mal comment il va s’y prendre pour élaborer un budget crédible. Surtout en entamant les discussions par une faute inexcusable : la remise en question de la réforme des retraites. Quoi qu’en pensent ses détracteurs, la loi de 2023, portant l’âge de départ à 64 ans, est déjà dépassée. Le système, qui coûte chaque année plus de 30 milliards d’euros à l’État pour combler le déficit de la fonction publique, va replonger dans le rouge dès l’an prochain. Faire marche arrière sur la seule réforme des dernières années produisant des économies ruinerait définitivement le crédit de la France.
Le Point, 22 décembre, article payant
Pourquoi il faut résister à la tentation de taxer les plus aisés ou les retraités
LA CHRONIQUE DE PATRICK ARTUS. Les Français ciblés puiseront dans leur épargne, qui manquera à moyen terme à l’investissement, donc à la croissance.
Extraits:
(…) La tentation est grande alors de concentrer les hausses d’impôts sur les personnes à revenu élevé et sur les retraités, de manière à éviter un recul trop important de la consommation. Mais ce raisonnement suppose que l’épargne n’a pas d’utilité. Si les hausses d’impôts affectent surtout l’épargne et peu la consommation, il y aura moins d’épargne disponible. Le financement du déficit public restera évidemment assuré.
La réduction de l’épargne disponible peut alors avoir deux conséquences. Soit une réduction de l’investissement, et plutôt de l’investissement des entreprises (les personnes à revenu élevé ou les retraités ne modifieront pas leur investissement en logements) ; soit un supplément d’endettement extérieur qui compensera le recul de l’épargne domestique disponible pour le financement de l’investissement.
Dans le premier cas, il y aura un recul de la croissance potentielle, à la fois parce que moins de capital physique aura été accumulé et parce qu’il en résultera un recul des gains de productivité. Dans le second cas, il y aura une dépendance accrue de la France vis-à-vis des capitaux étrangers et une fragilité financière accentuée (les investisseurs étrangers sont moins stables que les investisseurs domestiques).
Un choix court-termiste pour réduire le déficit public
En réalité se pose la question de l’horizon de temps visé par les gouvernements. S’ils privilégient le court terme, il est vrai qu’en concentrant les hausses d’impôts sur les personnes à haut revenu ou âgées, ils évitent un recul important de l’activité et donc une perte de recettes fiscales. Mais s’ils privilégient le long terme, ils doivent refuser d’amputer l’épargne disponible et donc la croissance potentielle.
Il est vrai que se pose aussi un problème d’évaluation. Autant il est assez facile d’évaluer l’effet à court terme sur la consommation d’une hausse des impôts, autant les effets à moyen terme de cette hausse sur l’investissement et les capacités disponibles sont plus difficiles à estimer. Si l’objectif est de réduire le déficit public rapidement, la hausse des impôts sur les plus aisés et les plus âgés sera spontanément privilégiée, en ignorant les conséquences néfastes à moyen et long terme du recul de l’épargne disponible pour investir.
Patrick Artus, Economiste, Ecole polytechnique, ENSAE. Chef économiste. Professeur associé à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, professeur de sciences économiques à l’Ecole polytechnique. Membre du cercle des économistes. Ancien administrateur de l’Insee.
Contrepoints, 18 décembre, libre accès
Dissolution, censure, volonté du peuple et avenir de la France
Extraits:
(…) Car en cet automne-hiver 2024, le malaise français est très loin de se limiter à ses impasses politiques. Il est aussi, et peut-être même surtout, le fait de ses impasses budgétaires, lesquelles ne sont finalement que la transcription dans nos comptes publics de la monumentale impasse idéologique où en est arrivé notre modèle social hyper-collectivisé, hyper-redistributif, hyper-égalitariste et, osons le dire, hyper-clientéliste – ce dernier point expliquant une bonne partie de la coupable couardise de notre classe politique dans sa façon de ne surtout pas aller au fond des problèmes. (…)
Sortir de la dépense, des aides, des subventions, de la redistribution et des monopoles d’État ? Il arrive qu’on en parle, mais personne ne songe à faire un budget en ce sens. Déréglementer, simplifier les procédures (comme pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris), libérer les énergies, laisser la créativité et l’innovation faire leur chemin ? Il arrive qu’on en parle, mais personne non plus ne songe à légiférer en ce sens.
J’en arrive à la dernière question. François Bayrou ? On voit mal comment il pourrait changer la donne ; ni son propre CV ni l’état d’esprit encore très étatiste des Français et de leurs représentants ne l’y prédisposent. Première grande réflexion du nouveau locataire de Matignon : réautoriser le cumul des mandats pour les parlementaires afin de « réenraciner les responsabilités politiques » dans la vie locale. On sent comme un léger décalage…
Le risque que la situation du pays se dégrade encore plus, jusqu’à un point de faillite qui ne trouverait de résolution ultime que dans la rue et/ou sous l’égide amère d’instances internationales telles que le Fonds monétaire international ou la Banque centrale européenne est tout sauf nul. Or ce sont dans ces moments où les institutions sont dépassées et où l’État perd son autonomie que l’État de droit souffre le plus et que les citoyens ont le plus à perdre.
Dans ces conditions, les acteurs et commentateurs de la libéralosphère dont je suis n’ont d’autre choix que de poursuivre inlassablement l’exposé de leurs arguments en faveur d’un État limité, en espérant qu’ils commencent à prendre sens auprès d’un nombre croissant d’électeurs et de responsables politiques avant qu’il ne soit trop tard.
Le Point, 17 décembre, article payant
Ces 9 indicateurs économiques qui annoncent une année noire
Spread, dette, emploi… Quel sera le bilan économique d’Emmanuel Macron alors que les plus pessimistes parlent déjà de récession ?

Extraits:
Pendant longtemps, Emmanuel Macron a pu se vanter de son bilan économique. Il était le président du pouvoir d’achat, de la croissance et de l’emploi. Nos finances publiques ? Ce n’était pas un problème : tout serait réglé grâce à des réformes structurelles et des baisses d’impôts dopant l’activité. Petit à petit, la question des dépenses publiques, de la dette et du déficit a été reléguée au second plan par le locataire de l’Élysée…
Cette année, la bombe budgétaire a pourtant explosé, avec la chute du gouvernement Barnier sur le PLFSS et l’absence de loi de finances pour 2025. Au pire moment. Croissance morose, chômage en hausse, dette galopante : les perspectives des derniers et des prochains mois n’étaient déjà pas réjouissantes.
L’absence de budget vient alimenter la dégradation du climat. Tensions sur les taux français, méfiance des investisseurs, besoins de financements considérables, attentisme des ménages et des entreprises : le cocktail semble prêt pour une année noire. Les plus pessimistes parlent déjà de récession… Espérons qu’ils aient tort.

Le Figaro, 17 décembre, article payant
Jean-Pierre Robin: «Les exonérations de charges sociales explosent et bénéficient à 93% des salariés»
CHRONIQUE – Sur les 17,4 millions de salariés du secteur privé, 16,2 millions ont bénéficié en 2023, à des degrés divers, d’exonérations.
Extraits:
C’est l’une des causes majeures du dérapage des finances publiques depuis 2019, quand le pays avait encore des comptes à peu près présentables, avant que tout ne se détraque avec le Covid. Les exonérations sur les cotisations sociales que les entreprises paient en plus du salaire brut («la part patronale») explosent, plombant le financement de la protection sociale. Leur coût global est passé de 57,7 milliards d’euros en 2019 à 78,4 milliards en 2024 selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). S’appuyant sur le rapport demandé l’an dernier par Élisabeth Borne, l’hôte de Matignon, à deux économistes, Antoine Bozio et Étienne Wasmer, et remis le 3 octobre («Les politiques d’exonérations de cotisations sociales: une inflexion nécessaire»), le gouvernement Barnier avait proposé de réduire l’ensemble de ces aides de 5 milliards d’euros. Avec, simultanément, un reprofilage des exonérations, aujourd’hui très dégressives, au point que les entreprises sont dissuadées de relever les salaires. Le rapport Bozio-Wasmer donne des exemples précis de ce mécanisme pervers: «En 2019, une augmentation du salaire brut mensuel de 3803 euros (45.636 annuels) à 3804 euros (au seuil de 2,5 smics) conduit pour l’employeur à une hausse du coût du travail annuel de 2756 euros, contre un gain net pour le salarié d’environ 9,50 euros sur l’année.» (…)
Selon l’institut de conjoncture Rexecode qui a dépouillé les statistiques de l’Urssaf sur les 17,4 millions de salariés du secteur privé, 16,2 millions d’entre eux, soit 93%, ont bénéficié en 2023 à des degrés divers d’exonérations. Les 9,8 millions de «bas salaires» constituent le plus gros contingent, soit plus d’un Français sur deux travaillant dans le secteur privé (les fonctionnaires et l’État employeur ne sont pas concernés). À l’opposé, seuls 1,2 million des salariés, soit 7% de l’ensemble – ceux dont le revenu brut est de 3,5 smics ou plus et représentent 22% de la masse salariale totale du secteur privé selon l’institut Rexecode – paient «plein pot» le taux «normal» et «maximal» des «cotisations employeurs» qui est de 47%. (…)
Loin d’être théorique, ce débat a une portée pratique considérable. La politique systématique de subvention des gens les moins formés menée depuis trente ans, outre la «smicardisation» de la société française, a-t-elle conduit à pénaliser les métiers les plus qualifiés et les secteurs de pointe? «Quand je regarde un ingénieur, il peut coûter jusqu’à trois fois plus cher en France qu’en Allemagne», s’inquiétait à l’hiver 2022, peu avant l’élection présidentielle, Bruno Le Maire. Non sans quelque exagération, le ministre de l’Économie pointait un fait bien réel: les charges d’assurance-maladie étaient alors plafonnées à 4837,5 euros de salaire mensuel outre-Rhin quand ce plafond était de 13.172 euros en France, pratiquement trois fois plus. En clair, l’ingénieur français cotise pour l’ouvrier spécialisé. Le Maire préconisait d’alléger les cotisations sociales au-delà de 2,5 smics, au nom de la réindustrialisation de l’Hexagone et de ses secteurs les plus performants à l’exportation. De facto les cotisations sociales sont devenues un impôt à taux très progressif, à l’instar de l’impôt sur le revenu.
Le Figaro, tribune, 12 décembre, article payant
Jean-Marc Daniel : Emmanuel Macron: l’heure du bilan économique
Le président promettait de baisser les dépenses publiques, de s’attaquer aux rentes et de remettre la France au travail, rappelle l’économiste, professeur à l’ESCP. Il dresse un bilan critique des promesses économiques non tenues et stigmatise un pays vivant plus que jamais au-dessus de ses moyens.
Extraits:
(…) Un des textes fondateurs du macronisme remonte à la fin août 2015. Il s’agit du discours d’Emmanuel Macron à l’université d’été du Medef. Il y déclarait: «Lorsqu’on a 57 % de dépense publique rapportée au PIB, ça n’est plus possible. Ça n’est plus possible… parce que c’est reporter le problème sur les générations à venir, c’est créer une iniquité intergénérationnelle nouvelle! C’est considérer que le traitement de nos difficultés d’aujourd’hui, les jeunes le paieront demain et que ça n’est pas notre problème. Et c’est avoir une forme de discours irresponsable lorsqu’on constate que la moyenne des pays de la zone euro est de 8 points inférieure à la nôtre. Donc notre ambition, notre perspective, c’est, d’ici à 2022, de revenir à 50 % de dépense publique rapportée au PIB.» Dans le même discours, il martelait: «La gauche a pu croire, à un moment, il y a longtemps, que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. C’était une fausse idée.»
(…) Dans son programme présidentiel de 2017, on trouve en outre cette assertion: «Notre projet est celui de la société du travail. Car c’est en travaillant que l’on peut vivre décemment, éduquer ses enfants, profiter de l’existence, apprendre, tisser des liens avec les autres.»
Emmanuel Macron ministre de l’Économie d’un gouvernement socialiste puis candidat de centre gauche à la présidentielle entendait donc baisser les dépenses publiques, se défaire du statut de la fonction publique et plus généralement des rentes, et invitait le pays à davantage travailler.
Où en sommes-nous aujourd’hui? Si on regarde l’évolution du PIB, celui-ci est passé de 2275 Mds € en 2017 à 2822 en 2023, soit 24 % d’augmentation, dont une partie tient néanmoins à l’inflation. Quant au taux de chômage en France métropolitaine, il était de 9,3 % au 1er trimestre 2017 et de 7,1 % au 2e trimestre de 2024. Si ce bilan paraît à première vue plutôt positif, une analyse plus précise conduit à une critique plutôt acerbe. La dépense publique, dont Emmanuel Macron déclarait en 2015 qu’elle était trop élevée, a gardé son poids dans le PIB (57 %) passant de 1 285 Mds € en 2017 à 1591 Mds € en 2023. Et une partie significative de cette dépense est et a été financée par des emprunts, si bien que la dette publique est passée de 97 % du PIB en 2017 à 110 % aujourd’hui.
(…) Nicolas Gregory Mankiw résume les fondements de l’économie. Son principe 8 énonce que «le niveau de vie d’un pays dépend de sa capacité à produire des biens et des services». Or la France d’aujourd’hui a un revenu supérieur à sa production. Et comme elle consacre une partie importante de ce revenu à la consommation, le pays importe massivement et s’enfonce dans le déficit extérieur.
Face à cela, Emmanuel Macron a concentré son combat contre ce qu’il appelle le déni de la réalité sur la nécessité de davantage travailler pour accroître la production. À juste titre, puisque, selon l’OCDE, en 2022, la France aura mobilisé 655 heures de travail par habitant quand la moyenne des membres a été de 805 heures. C’était la vraie justification du report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans (…).
En France où le taux d’investissement n’est pas particulièrement élevé (le ratio investissement sur PIB tournant autour de 20 % alors que la transition écologique en réclame de plus en plus), le diagnostic est clair: nous sommes victimes d’un déficit public abyssal et d’une «fringale de consommation». La France est un exemple parfait du problème des déficits jumeaux, c’est-à-dire d’un déficit extérieur nourri par le déficit budgétaire. (…)
En résumé, l’enjeu pour la France d’aujourd’hui est double. Il faut d’abord accroître la quantité de travail. (…)
Il faut ensuite générer de l’épargne pour affronter le vieillissement, et mieux gérer cette épargne. Cela suppose d’abord de réduire le déficit budgétaire en ramenant la dépense publique à 50 % du PIB comme le disait Emmanuel Macron en 2015. (…)
Pour que de telles mesures soient acceptées, il faut les défendre sans ambiguïtés auprès de la population. Il faut surtout affirmer la nécessité de l’effort de tous et pas exclusivement tantôt des retraités, tantôt des riches, tantôt des entreprises. En fait, ce dont a besoin le pays, c’est d’une politique fondée sur le triptyque «concurrence, travail, épargne», alors que le macronisme s’est transformé en une promotion de «protectionnisme, dette, consommation»…
Derniers livres parus: Nouvelles leçons d’histoire économique, Odile Jacob, 2024 ; Histoire de l’économie mondiale, Tallandier, 2023.
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/emmanuel-macron-l-heure-du-bilan-economique-20241213
Le Point, 13 décembre, article payant
Pourquoi les moteurs du PIB français tombent en panne l’un après l’autre
L’ÉDITO DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS. Le choix solitaire d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée risque au final de coûter à l’économie française un « pognon de dingue »
Extraits:
(…) Au vu de l’extraordinaire confusion budgétaire et politique qui règne en France, il faut malgré tout s’étonner que la défiance de nos créanciers ne soit pas pour l’instant plus grande. Au vu du spectacle désolant du gouvernement de Michel Barnier, qui s’est montré incapable de couper dans la dépense publique, d’un Nouveau Front populaire au sadisme fiscal décomplexé, d’un Rassemblement national plus irresponsable et démagogique que jamais. Au vu de Français, enfin, qui refusent obstinément de travailler davantage et réclament pour les trois quarts d’entre eux l’abrogation de la réforme des retraites.
Les gérants des fonds de pension américains et des caisses de retraite japonaises ne sont pas les seuls à s’inquiéter. Les chefs d’entreprise français aussi, qui naviguent en plein brouillard et qui du coup n’investissent plus et embauchent encore moins. Quant aux ménages, ils préfèrent prudemment et rationnellement épargner plutôt que consommer, même avec modération.
Bref, les moteurs du PIB tombent l’un après l’autre en panne et, alors qu’une croissance molle était attendue pour 2025, la menace d’une récession grandit chaque jour. (…)
Quitte à faire de la psychanalyse de comptoir, l’initiative du président mais aussi le rejet collectif d’efforts budgétaires pour réduire les déficits s’apparentent à une pulsion de mort financière et à une volonté d’autodestruction économique. On est au-delà du déni et de l’aveuglement, on a l’impression d’assister à un suicide en direct dont seuls des économistes freudiens pourraient identifier les raisons profondes. (…)
Certains spécialistes des marchés se veulent toutefois encore rassurants. D’abord en expliquant que, compte tenu de la taille de la dette française, il n’existe pas d’alternative aux OAT pour une épargne mondiale soucieuse de se diversifier géographiquement.
Ensuite en affirmant que la France est « too big to fail ». En clair que la Banque centrale européenne n’hésitera pas, en cas de trop fortes tensions, à racheter massivement des emprunts d’État français pour empêcher une nouvelle crise des dettes souveraines et une dislocation de la zone euro.
Mais la BCE mettrait des conditions drastiques à son soutien et imposerait un programme d’austérité et de réformes structurelles en comparaison desquels le traitement proposé par Michel Barnier relève de l’homéopathie. Il ne faut pas sous-estimer le ras-le-bol que suscite chez nos partenaires européens le laxisme budgétaire de la France.
L’économiste Gilbert Cette comparait l’autre jour sur BFM Business une crise financière à une avalanche, où le passage d’un skieur aventureux suffit à mettre en mouvement des milliers de tonnes de neige, où le pari spéculatif d’un hedge fund new-yorkais contre la dette française suffit à déclencher la vente de centaines de milliards d’euros d’OAT. De la voile au ski en passant par l’escalade périlleuse des spreads, les chroniques économiques deviennent pour le moins sportives.
Le Figaro, 13 décembre, article payant
Face au désordre politique, les chefs d’entreprise en colère
DÉCRYPTAGE – Investissement en recul, commandes annulées, embauches gelées, le risque d’un engrenage délétère pèse sur l’économie.
Extraits:
« Il faut être fou pour investir et embaucher aujourd’hui », lâche un patron industriel, alors que la France attend toujours le nom du prochain locataire de Matignon. Depuis plusieurs mois déjà, les entreprises sont fébriles et inquiètes d’une impasse politique dont on ne voit pas l’issue. Bien que refroidi par un projet de loi de finances pour 2025 qui, à ses yeux, mettait fin à la politique de l’offre menée par Emmanuel Macron en faveur des entreprises, le patronat français est ébranlé par la chute du gouvernement de Michel Barnier. (…)
« La censure décalerait le redémarrage de notre économie en nous faisant basculer dans un “no man’s land” de l’indécision », alertait déjà François Asselin, le président de la Confédération des PME, fin novembre dans Le Figaro. (…)
Les enquêtes d’opinion auprès des chefs d’entreprise se suivent, se ressemblent et s’aggravent à mesure que la France, après la chute du gouvernement, s’enfonce dans une crise politique durable. Alors que 56 % des dirigeants de TPE et PME en France estiment que l’incertitude pèse sur leur activité selon la dernière enquête trimestrielle Bpifrance Le Lab/Rexecode, 45 % des petits patrons comptent reporter leurs projets d’investissement et 21 % prévoient de les annuler. Même chose sur le front de l’embauche où 35 % des sondés reportent leurs intentions d’embauche et 19 % les annulent.
Cette tendance ne se cantonne d’ailleurs pas aux petites entreprises, mais touche aussi celles de taille intermédiaire (ETI). (…)
Et la trésorerie se resserre pour plus de 40 % des ETI en cette fin d’année. Dans les plus petites entreprises, le solde d’opinion sur l’évolution de la trésorerie plonge aussi, atteignant son plus bas niveau jamais relevé (hors Covid) par Bpifrance depuis 2018. Une litanie de signaux qui laisse craindre le pire pour l’économie française, alors que les faillites approchent les 65.000. (…)
Et pourtant, les données réelles sur l’économie ne sont pas si alarmantes, nombre d’observateurs signalant que, malgré un horizon sombre, les fondamentaux demeurent solides. (…)
Le Point, 13 décembre, article payant
Mur de la dette : comment trouver 150 milliards
TRIBUNE. Selon les économistes Olivier Blanchard et François Ecalle, il faut baisser les dépenses, notamment sociales, et non augmenter les impôts pour être à la hauteur des enjeux budgétaires.
Voir « Article du Jour » !
https://www.lepoint.fr/economie/mur-de-la-dette-comment-trouver-150-milliards-13-12-
Neue Zürcher Zeitung, 11 décembre, article payant
Börsenrekorde überall, doch Frankreich bleibt das Schlusslicht Europas – daran ist nicht nur Emmanuel Macron schuld, sondern auch Louis Vuitton
Der französische Aktienmarkt zeigt die schlechteste Performance aller europäischen Börsen. Das politische Chaos im Inland belastet die Aktien, aber auch die Abhängigkeit vom Absatz von Luxusgütern.
Extraits:
«L’exception française» – die französische Ausnahme – gilt auch an den Finanzmärkten. Die Börsen in den USA und teilweise auch in Europa markieren fast täglich neue Höchststände. Der deutsche DAX steht dieses Jahr 20 Prozent im Plus, die spanische Börse ebenso. Sogar der konservative Schweizer SMI hat 5 Prozent zugelegt.
Nicht die französische Börse, sie kam dieses Jahr kaum vom Fleck. Seit Staatspräsident Emmanuel Macron das Land nach Auflösung des Parlaments im Juni in die Regierungskrise stürzte, hat der französische Leitindex CAC 40 zeitweise fast zehn Prozent verloren. Die Pariser Börse zeigt damit die schlechteste Performance in Europa.
Der Grund ist vordergründig die Unsicherheit. Denn das politische Chaos ist noch lange nicht ausgestanden. (…)
Doch was als politisches Vakuum daherkommt, bedeutet kurzfristig Stabilität: Das Parlament wird bis zu möglichen Neuwahlen im Sommer nicht in der Lage sein, grössere wirtschaftliche Veränderungen zu beschliessen. (…)
Kurzfristig ist das gut für die Börse. So haben sich die französischen Finanzmärkte dank dem politischen Vakuum beruhigt. Der wichtigste Messwert für das politische Risiko, die Differenz zwischen den Renditen 10-jähriger französischer und deutscher Anleihen, der «Spread», ist wieder geringer geworden. Die Nervosität über Frankreichs Finanzsituation hat abgenommen. (…)
Der CAC 40 hat seit dem Rücktritt der Regierung Barnier sogar zugelegt. Besonders die Aktien grosser Luxuskonzerne wie LVMH, Kering und Hermès machten einen Kurssprung. Insbesondere LVMH und Kering mussten in den vergangenen Monaten wegen der lahmenden chinesischen Wirtschaft und der wenig spendierfreudigen Konsumenten in China schwierige Zeiten durchleben. Luxuskonzerne wie LVMH oder Richemont aus der Schweiz sind in hohem Masse von China und Hongkong als Absatzmärkten abhängig.
Die Regierungskrise ist somit nicht der einzige Grund, der die französische gegenüber anderen europäischen Börsen zurückhält. Zumal Frankreich für die CAC-40-Konzerne gar nicht so wichtig ist. Der französische Markt macht weniger als 15 Prozent des Umsatzes der 40 Unternehmen aus dem Index aus. (…)
Ein grösseres Problem ist die hohe Konzentration. Der CAC 40 wird von den Schwergewichten LVMH, Hermès und L’Oréal dominiert. Gemäss einer Auswertung des Vermögensverwalters Amundi ist die schlechte Performance auch auf diese Zusammensetzung zurückzuführen, die sich stark auf Luxus abstützt und auf Konsumgüter, die nicht zum Grundbedarf gehören, etwa Kosmetika. (…)
Das Problem der französischen Banken ist, dass sie einer der grössten Gläubiger französischer Staatsanleihen sind. Die sechs grössten Institute halten zusammen fast ein Fünftel aller ausstehenden Bonds. Das entspricht Anleihen im Gegenwert von rund 1500 Milliarden Euro. Gemäss Outin haben die Banken zwar die Lehren aus der Euro-Krise vor zehn Jahren gezogen, kurzfristige Zinsschwankungen würden ihnen nicht viel ausmachen. Aber es gebe die Gefahr einer «boucle fatale», also einer fatalen Schleife zwischen Staats- und Bankenschulden.
Diese könnte in einem Stress-Szenario eintreten, wenn der französische Staat länger Schwierigkeiten haben sollte, sich am Anleihemarkt zu refinanzieren, und es deshalb zu einem Liquiditätsengpass käme. Von einer solchen Situation ist Frankreich aber weit entfernt. (…)
Auch die Aussichten für Staatsanleihen werden besser. So haben alle grossen Agenturen das Qualitäts-Rating Frankreichs bestätigt. S&P etwa hat die AA-negativ-Bewertung beibehalten: Französische Anleihen würden von einem günstigen Umfeld im Zuge der Lockerungspolitik der Europäischen Zentralbank und der nachlassenden Inflation profitieren.
Die Analysten von Lombard Odier gehen davon aus, dass die Renditen französischer Anleihen weiter sinken, die Spreads aber nicht ansteigen werden. Frankreich sei in der Lage, seine Schulden im Inland zu finanzieren, und das Leistungsbilanzdefizit sei geringer als in Grossbritannien oder in den Vereinigten Staaten.
Le Point, 6 décembre, article payant
L’emploi, trophée terni du macronisme
L’ÉDITO DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS. Auchan, Michelin, Valeo… Les plans sociaux s’accumulent en France, assombrissant le bilan vanté par Emmanuel Macron.
Extraits:
« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». La formule de Jacques Chirac se vérifie aussi en économie. Déjà confronté à l’envolée du déficit, à la pression de Bruxelles, à la défiance des agences de notation et des marchés financiers, à la colère des agriculteurs, des cheminots, des pilotes de ligne, des fonctionnaires, des retraités et des riches, le gouvernement (…) doit également faire face à une détérioration du marché de l’emploi.
Après Auchan et Michelin, c’est au tour de Valeo d’annoncer un plan social tandis que, selon l’Insee, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 35 000 au troisième trimestre pour s’établir à 2,3 millions. Le taux de chômage, qui était tombé à un plus bas niveau de 7,1 % début 2023, est, quant à lui, remonté à 7,4 % et celui des jeunes de 15 à 24 ans à 19,7 %, soit 2,4 points de plus qu’il y a un an. (…)
Rien d’étonnant au vu de la croissance anémique en France et dans la zone euro, de la dégradation de la situation financière des entreprises et de la hausse du nombre de leurs défaillances (…).
Il faut dire aussi que le dynamisme affiché ces dernières années par le marché de l’emploi laissait les économistes perplexes. (…) Une divergence inédite qui s’est traduite par un recul alarmant de la productivité, l’économie française ayant eu besoin de plus de salariés pour produire la même quantité de travail et créer la même quantité de richesses. C’est d’abord cette anomalie qui est en passe d’être corrigée, les entreprises cherchant à alléger leur masse salariale et à tailler dans leurs effectifs pour regagner en productivité et restaurer leur profitabilité.
Si l’on ajoute à cela l’impact récessif qu’auront les hausses d’impôts et les baisses de dépenses prévues dans le budget 2025 pour tenter de contenir le déficit, l’horizon en matière de chômage est bien sombre. Les économistes de l’OFCE prévoient 140 000 destructions d’emploi l’année prochaine et un taux de chômage remontant à 8 % fin décembre.
Son recul était pourtant le trophée économique brandi dans le camp macroniste pour justifier le bien-fondé de la politique de l’offre et pro-business. (…)
Tout cela se trouve aujourd’hui remis en question. La courbe du chômage est en train de s’inverser, mais dans le mauvais sens. Non seulement l’objectif de plein-emploi à la fin du quinquennat visé par le chef de l’État s’envole, mais les succès remportés ces dernières années sont grandement fragilisés et relativisés. Notre taux de chômage reste deux fois plus élevé qu’en Allemagne (3,5 % selon Eurostat). (…)
Il apparaît surtout de plus en plus que la décrue du chômage a été largement obtenue à crédit, grâce à la politique du « quoi qu’il en coûte » et à l’injection massive d’argent public. Il faut mettre en regard les quelque 1,9 million d’emplois salariés créés depuis l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron avec les 1 000 milliards d’euros supplémentaires de dette. Cela fait cher l’embauche.